CENSURE AU MAM de Paris

Lettre ouverte de l’Observatoire de la création

Monsieur Bertrand Delanoë
Maire de Paris
Hôtel de ville
4 rue Lobeau
75196 Paris RP

Monsieur Fabrice Hergott
Directeur du Musée d’Art moderne de Paris
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris

Paris, le 5 octobre 2010

Monsieur le Maire, Monsieur le directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris,

Vous avez pris, au prétexte que la loi aurait changé en 2007, ce qui est faux pour le sujet qui
nous préoccupe, une décision bien regrettable. En interdisant l’exposition de Larry Clark aux
moins de 18 ans, alors que ses photographies ont déjà été montrées à la Maison Européenne de
la Photographie il y a trois ans, et alors que, depuis, rien n’a changé dans la loi, contrairement à
ce que vous affirmez, pour les expositions, vous adressez un signal régressif et rétrograde, non
seulement au monde de l’art, mais au public, ce peuple que vous prétendez protéger.

Doit-on vous rappeler, Monsieur le Maire, que votre parti a voté cette loi largement défendue
par les députés socialistes, non en 2007, mais en 1994 ? Que cette loi que vous prétendez
découvrir aujourd’hui, Monsieur le Directeur, l’Observatoire de la liberté de création la
dénonce comme liberticide depuis des années dès lors qu’elle permet la poursuite pénale des
œuvres de l’esprit ? Ces fameux articles 227-23 et 224-24 ont permis la plainte de la Mouette
contre l’exposition Présumé Innocent dès 2000, mais faut-il vous rappeler que cette procédure
unanimement critiquée a abouti pour l’instant à un non lieu ? Et qu’aucune procédure contre les
œuvres fondées sur ces articles, grâce au fait que nos juges se révèlent jusqu’à ce jour des
défenseurs, eux, de la liberté de création, et du droit du public à accéder aux œuvres, n’a
finalement abouti ?

En interdisant l’exposition de Larry Clark aux moins de 18 ans, que prétendez vous faire ?
Donner raison à cette loi que vous prétendez dénoncer ? Faire mieux que la Mouette qui
prétend protéger les enfants, que l’Agrif qui prétend protéger les catholiques, ou que
Promouvoir qui défend l’identité française ?
./…

Ces articles de loi que vous appliquez aujourd’hui aveuglément constituent en délit la diffusion
à des mineurs de messages pornographiques. Ainsi, vous osez désigner comme
pornographiques des images qui représentent la sexualité de jeunes gens, commettant un
contresens sur les œuvres que vous avez pourtant décidé de montrer. En ravalant Larry Clark
au rang de vulgaire pornographe, vous desservez l’artiste que vous exposez, et déniez au public
le droit de se faire sa propre opinion sur les œuvres. Plus précisément, vous excluez les
adolescents de toute possibilité d’approche de photographies qui explorent des territoires,
souvent difficiles, qui les concernent directement. Vous jugez en lieu et place des citoyens, ce
qui est l’attitude contestable de tous les censeurs.

Cette loi que vous utilisez comme prétexte est une loi pénale : vous l’avez transformée, ce qui
est le rêve de tous les réactionnaires, en loi de censure préalable. Permettez-nous de vous
rappeler que les poursuites pénales contre l’exposition Présumés Innocents à Bordeaux n’ont
pas empêché son bon déroulement, et que cette exposition a eu lieu sans censure du maire
Alain Juppé.

Vous venez donc de commettre, Monsieur le Maire, Monsieur le directeur du Musée d’art
moderne de la Ville de Paris, une double faute politique : censurer, et travestir la réalité pour
vous justifier.

Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.

Bien cordialement,
Agnès Tricoire
Déléguée de l’Observatoire de la liberté de création

Observatoire de la liberté de création – LDH 138 rue Marcadet 75018 Paris – 01 56 55 51 07

Membres de l’Observatoire : Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (ACID),
Association internationale des critiques d’art (AICA-France), Fédération des réseaux et
associations d’artistes plasticiens (FRAAP), Fédération des professionnels de l’art
contemporain (CIPAC), Groupe 25 images, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Ligue de
l’Enseignement (LE), Société des Gens De Lettre (SGDL), Société des Réalisateurs de Films
(SRF), Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA), Syndicat des Artistes Plasticiens
SNAP-CGT.


Voir également :

La gazette d’Arrêt sur image 145. Adolescents, sexe et drogue : images interdites ?

Que nous arrive-t-il, avec l’enfance ? Pourquoi notre regard sur les images mettant en scène, ou évoquant, la sexualité adolescente, a-t-il radicalement changé ? Les mêmes photos, quasiment les mêmes, dont on faisait des cartes postales, au siècle dernier, sont aujourd’hui barrées de l’infamant tampon de la pédophilie. Et la Ville de Paris vient d’interdire aux moins de 18 ans une exposition du photographe Larry Clark (jeunes, sexe et drogue), qui ouvrira ses portes la semaine prochaine. Décision choquante ? Sur notre plateau, l’adjoint à la culture de la Ville de Paris, Christophe Girard, se justifie par le risque de procès. N’est-ce pas une capitulation ? Girard s’affirme prêt à se battre pour changer la loi. Mais (m’a-t-il semblé) sans beaucoup de conviction. Notre émission est ici.



MEDIAPART : Cachez ce Larry Clark que la jeunesse ne doit pas voir !

Les adolescents ne verront pas la grande rétrospective du photographe et réalisateur Larry Clark, qui débute le 8 octobre au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Elle est interdite aux moins de 18 ans. Sexe, drogue, armes : il faut cacher tout cela. C’est ici.