RÉFORME DES RETRAITES : LE COURRIER DES SYNDICATS D’ARTISTES-AUTEURS AU HAUT-COMMISSAIRE ET AUX MINISTÈRES

Le CAAP, le SELF, le SMDA-CFDT, le SNAA-FO, le SNAPcgt, le SNP, le SNSP, l’UNPI et l’USOPAVE ont adressé un courrier commun à Monsieur Jean-Paul DELEVOYE, Haut-commissaire à la réforme des retraites avec copie à Monsieur Edouard Philippe, Premier ministre, à Madame Françoise Nyssen, ministre de la Culture et à Madame Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Ce courrier expose les principaux problèmes relatifs au régime de retraite des artistes-auteurs (de base et complémentaire).

Paris le 9 février 2018,

Monsieur le Haut-commissaire,

Les syndicats signataires qui représentent les artistes-auteurs des arts visuels et de l’écrit souhaitent vivement vous rencontrer dans le cadre des concertations que vous menez en vue de la réforme des retraites.

Pour mémoire :

  • Fiscalement, l’article 92 du Code général des impôts classe les professions exercées par les artistes-auteurs dans la catégorie des professions libérales. En conséquence, les revenus qu’ils en tirent (ventes d’œuvres, droits d’auteur, etc.) ont par principe le caractère de bénéfices des professions non commerciales, ce qui implique une déclaration en BNC (bénéfices non commerciaux). Par dérogation à ce principe, l’article 93-1quater du Code général des impôts prévoit que lorsqu’ils sont intégralement déclarés par les tiers, les produits de droits d’auteur perçus par les auteurs des œuvres de l’esprit mentionnées à l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle sont soumis à l’impôt sur le revenu selon les règles prévues en matière de traitements et salaires.
  • Socialement, les artistes-auteurs sont des travailleurs indépendants rattachés au régime général pour l’ensemble des risques (article L-382-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale). Leur assiette sociale est fonction de leur revenu fiscal (certains sont déclarants en BNC, d’autres en traitements et salaires assimilés).

Il nous semble que ces particularités du régime des artistes-auteurs peuvent apporter un éclairage utile à la réflexion d’ensemble visant à une harmonisation et une simplification du système des retraites.

Dans la pratique, cependant, une marge de progression très importante existe, tant en ce qui concerne notre retraite de base que notre retraite complémentaire.

Quelques problèmes relatifs à l’application de notre régime vieillesse de base

À ce jour, il existe deux organismes sociaux collecteurs : la Mda-sécurité sociale et l’Agessa. Or, depuis sa création dans les années soixante-dix, contrairement à la Mda-sécurité sociale (60 192 cotisants en 2016), l’Agessa n’appelle pas les cotisations vieillesse à la plupart de ses cotisants : en 2016, 185 707 cotisants de l’Agessa (sur 202 425) ne cotisaient pas au régime vieillesse de base. Ces non cotisants à la retraite de base sont tous précomptés sur leurs recettes, même quand ils sont déclarants en BNC. Autrement dit, l’Agessa applique une mauvaise assiette sociale au détriment de milliers d’artistes-auteurs.

En regard de ces problèmes aussi anciens que notoires, des mesures récentes ont été votées par le Parlement.

Ainsi le projet de loi de finance de la Sécurité sociale 2017 voté en 2016 a prévu de rendre la cotisation vieillesse pré-comptable à partir de 2019 pour les artistes-auteurs, mais à ce jour rien ne garantit les droits acquis en regard, ni l’application d’une assiette sociale conforme au régime fiscal et au Code de la Sécurité sociale.

Ainsi le projet de loi de finance de la Sécurité sociale 2018 voté en 2017 a prévu que l’URSSAF se substituerait dès 2019 aux deux organismes sociaux (Mda-sécurité sociale et Agessa) pour la collecte des cotisations, mais sans assurance non plus sur la capacité informatique de l’URSSAF à gérer une mise en application opérationnelle de notre régime, notamment en matière d’assiette sociale.

Par ailleurs, nos organismes sociaux (Mda-sécurité sociale et Agessa) sont illégalement privés de conseil d’administration depuis avril 2014, suite à une négligence des deux ministères de tutelle (Culture et Santé).

Nous demandons notamment :

  • la garantie que les cotisations vieillesse précomptées à partir de 2019 ouvriront des droits à l’assurance retraite des artistes-auteurs déclarant en traitements et salaires assimilés ;
  • la garantie que tous les artistes-auteurs déclarants en BNC cotiseront sur leur bénéfice (et plus jamais sur leur chiffre d’affaires) donc qu’ils seront tous effectivement dispensés de précompte ;
  • l’organisation d’élections pour rétablir les conseils d’administration des deux organismes sociaux.

Quelques problèmes relatifs à notre caisse nationale de retraite complémentaire : l’IRCEC

Énumérer l’ensemble des dysfonctionnements de notre caisse nationale de retraite complémentaire dépasserait la longueur raisonnable d’un courrier.

Ex-membre du groupe Berri, comme la CIPAV, l’IRCEC n’a malheureusement pas fait l’objet d’un éclairage spécifique de la Cour des comptes.

L’opacité des comptes et de la gestion de l’IRCEC justifie à elle seule qu’un audit indépendant soit diligenté de toute urgence par les pouvoirs publics. À ce jour, les syndicats des artistes-auteurs comme les cotisants ignorent notamment la nature et le montant des dépenses engagées par l’IRCEC ainsi que le montant de ses frais de gestion.

À l’heure où il est question d’harmonisation et de simplification, nous constatons au sein de l’IRCEC la coexistence archaïque de trois régimes distincts (RAAP, RACD, RACL) qui engendrent une complexité inutile, des inégalités de traitement entre artistes-auteurs et des situations ubuesques (environ un artiste-auteur sur dix cotise à deux ou trois de ces régimes...).

Notre caisse comporte quatre conseils d’administration, des commissions démultipliées et une soixantaine d’administrateurs très majoritairement désignés par la SACD et la SACEM. Un seul conseil est partiellement élu par les cotisants, celui du RAAP. Les représentants du régime commun (RAAP) sont statutairement minoritaires au sein de la gouvernance de l’IRCEC en dépit des effectifs concernés (voir schémas joints en annexe qui montrent également que la majorité des cotisants aux régimes particuliers RACL et au RACD ne cotisent pas au régime vieillesse de base...).

Ainsi, en violation des règles applicables à la représentation des syndicats professionnels, actuellement l’IRCEC est statutairement dirigée par deux organismes de gestion collective de droits d’auteurs : la SACD et la SACEM. 

Conformément au Code du travail pour tout syndicat professionnel, les syndicats des artistes-auteurs sont les seuls représentants légitimes des intérêts collectifs des professions des artistes-auteurs. Or ils sont actuellement exclus de la gouvernance de l’IRCEC. (Pour mémoire, les organismes de gestion collective n’ont aucun mandat syndical, leur périmètre d’action est légalement limité aux " titulaires de droits qu’ils représentent " et ce, uniquement pour la gestion de leurs droits d’auteurs patrimoniaux).

Écarter ainsi les partenaires sociaux de la gouvernance d’une caisse nationale de retraite complémentaire n’est évidemment pas sans incidence sur ses dysfonctionnements et son inaptitude à mener une réforme dans l’intérêt général de ses cotisants.

La réforme des cotisations du RAAP unilatéralement imposée par l’ex-conseil d’administration et mise en application en 2017 s’avère déjà calamiteuse. Or imposer in fine à tout artiste-auteur affilié de payer chaque année l’équivalent d’un mois de revenu (8 %) pour sa retraite complémentaire, quelle que soit sa capacité contributive effective, met en péril son activité professionnelle.

En décembre 2017, lors des dernières élections au conseil d’administration du RAAP, aucun administrateur sortant n’a été réélu en tant que titulaire. Dix élus titulaires (sur douze postes à pourvoir) ont manifesté en amont leur opposition à cette réforme qui impose in fine un taux uniforme à 8 %. Mais ces élus n’occupent que 2 sièges sur 9 au sein du conseil d’administration actuel de l’IRCEC par application de ses statuts...

Nous demandons notamment :

  • le gel de la réforme à 8 % ;
  • l’ouverture de négociations pour une remise à plat et une véritable réforme de notre caisse nationale de retraite complémentaire.

Dans l’attente de vous rencontrer prochainement, veuillez agréer, Monsieur le Haut-commissaire, l’expression de nos salutations respectueuses.

CAAP (Comité des Artistes Auteurs Plasticiens)
6 rue Victor Hugo - 95430 Auvers-sur-Oise - caap.contact@free.fr

SELF (Syndicat des Écrivains de Langue Française)
c/o Vilà - 207, rue de Belleville (bal 25) - 75019 Paris - contact@self-syndicat.fr

SMDA-CFDT (Syndicat Solidarité Maison des Artistes)
11 rue Berryer - 75008 Paris - contact.smda@gmail.com

SNAA-FO (Syndicat National des Artistes Auteurs)
2, rue de la Michodière - 75002 Paris - snaafo@laposte.net

SNAPcgt (Syndicat National des Artistes Plasticiens)
14-16, rue des Lilas - 75019 Paris - snapcgt@free.fr

SNP (Syndicat National des Photographes)
La FABRIK - 23 rue du Docteur Potain, Escalier B - 75019 Paris - contact@snp.photo

SNSP (Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens)
11 rue Berryer - 75008 PARIS - sculpteurs.plasticiens@gmail.com

UNPI (Union Nationale des Peintres Illustrateurs)
11 rue Berryer - 75008 Paris - contact@unpi.net

USOPAVE (Union des Syndicats et Organisations Professionnelles des Arts Visuels et de l’Ecrit)
La FABRIK - 23 rue du Docteur Potain, Escalier B - 75019 Paris - actart@orange.fr

Copie à Monsieur Edouard Philippe, Premier ministre,
à Madame Françoise Nyssen, ministre de la Culture,
et à Madame Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé.

Documents à télécharger

LE COURRIER DES SYNDICATS D’ARTISTES-AUTEURS AU HAUT-COMMISSAIRE ET AUX MINISTÈRES
Réponse du Haut-commissaire à la réforme des retraite, Jean-Paul DELEVOYE