RÉGIME SOCIAL DES ARTISTES-AUTEURS : POUR UNE GESTION COMMUNE, OPTIMISÉE ET ÉVOLUTIVE DU CHAMP D’APPLICATION

1/ L’origine historique des cinq « branches ».

La création des pseudo-branches dans le code de la sécurité sociale découle d’un historique de la construction de la protection sociale des artistes-auteurs. Ses conséquences encore structurantes s’avèrent aujourd’hui inadéquates à la bonne gestion du régime social des artistes-auteurs.

La loi du 31 décembre 1975 a défini les principes de base du régime social actuel commun à tous les artistes-auteurs. Or en décembre 1977 deux organismes distincts ont été agréés par le Ministère chargé de la Sécurité Sociale pour la gestion de ce même régime : la Mda et l’Agessa.

L’association la Maison des Artistes a été créée en 1952. Elle a été agréée en 1965 pour la gestion sociale des « artistes peintres, sculpteurs et graveurs » (NB : le conseil d’administration de l’organisme qui gère effectivement la sécurité sociale est distinct du conseil d’administration de l’association). Le champ d’application s’est ouvert ultérieurement à d’autres professions : les graphistes, les dessinateurs textiles…

L’Agessa [note n°1] (Association de Gestion de Sécurité Sociale des Auteurs) a été créée en 1978. Elle a été agréée pour la gestion sociale des « artistes auteurs d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques » (NB : le conseil d’administration de l’organisme qui gère effectivement la sécurité sociale est distinct du conseil d’administration de l’association). Le champ d’application s’est ouvert ultérieurement à d’autres professions, notamment les photographes.

L’Agessa est une association fondée par le SNE (Syndicat National de l’Édition), l’UPC (Union des Producteurs de Cinéma), la SGDL (Société des Gens de Lettres), la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) et la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique). Historiquement la structuration de l’Agessa et la création de quatre commissions distinctes par « branches » se comprend en lien avec la nature des activités de ses membres fondateurs : organisations professionnelles de diffuseurs et OGC (organismes de gestion collective ou sociétés de perception et de répartition de droits d’auteur) qui précomptent des artistes-auteurs.

Les quatre « branches » de l’Agessa correspondent moins à des activités artistiques similaires qu’à des circuits de diffusion et/ou des canaux de précompte. Il s’agit notamment :

  • du canal des éditeurs,
  • du canal des producteurs de musique et des entrepreneurs de spectacle,
  • du canal des producteurs audiovisuels et cinématographiques,

Puis plus tardivement et bizarrement :

  • la « branche » photo qui correspond à un médium, non à un circuit de diffusion particulier, et, qui, faisant partie des arts visuels aurait logiquement dû être rattachée à la « branche » dite des « arts graphiques et plastiques ».

L’association Mda pour sa part a été fondée par des artistes. Et bien que gérant des activités de création et des conditions d’exercice tout aussi variées que celles de l’Agessa, la Mda-sécurité sociale n’a pas créé plusieurs commissions distinctes.

Au final l’entrée dans le régime s’avère souvent un parcours du combattant, entre autres en raison de la répartition entre deux organismes distincts et entre ces cinq « branches » historiques dont la typologie incohérente est mal comprise des artistes-auteurs eux-mêmes ainsi que de certains diffuseurs.

2/ S’agissant du régime social des artistes-auteurs la nature des activités de création exercées par l’artiste-auteur doit d’évidence être le fondement de son entrée (et de son maintien) dans le régime.

Son ou ses circuits de diffusion relèvent d’une information complémentaire utile mais secondaire.

À ce jour, en début d’activité, l’Urssaf en tant que CFE (centre de formalité des entreprises) demande à l’artiste-auteur d’indiquer « l’activité la plus importante » et « l’ensemble des activités exercées ». Bonnes questions ! Malheureusement son menu déroulant donne le choix entre : « artiste », « auteur » ou « vendeur à domicile » ! Ce qui laisse d’emblée l’artiste-auteur dans un grand moment de perplexité et donne fort peu d’information au CFE sur l’activité effectivement exercée par l’artiste-auteur...

Les syndicats d’artistes-auteurs ont fait une proposition d’actualisation du portail CFE-Urssaf [note n°2] aux ministères de tutelle afin de préciser les activités qui correspondent aux deux codes NAF pour les artistes-auteurs déclarant en BNC.

La création du répertoire opérationnel des métiers des artistes-auteurs (ROMAA) pourrait s’appuyer sur une démarche rigoureuse mais pragmatique : inventaire des dénominations les plus courantes des métiers, analyse des activités et compétences. Pour ce faire, bien sûr l’expertise de l’ensemble des représentants des artistes-auteurs et des diffuseurs serait mobilisée. Le soutien du DEPS (Département des études, de la prospective et des statistiques) du ministère de la culture pourrait être sollicité.

Parallèlement le développement de fiches métiers constituerait une ressource utile (l’Agessa en a déjà judicieusement établies quelques-unes).

Chaque artiste-auteur pourrait préciser dans sa déclaration annuelle (via des menus déroulants) :

  • son activité artistique principale exercée et ses principaux circuits de diffusion.
  • le cas échéant, ses autres activités artistiques exercées et leurs principaux circuits de diffusion.

En effet, l’hybridation des pratiques artistiques des artistes-auteurs s’est très largement développée et a rendu caduque une approche typologique étroitement cloisonnée (uniquement centrée sur un métier ou sur un médium particulier). Beaucoup d’artistes-auteurs utilisent plusieurs médiums et/ou exercent plusieurs activités artistiques. De plus, dans leur carrière, ils saisissent diverses opportunités selon leurs compétences (variées et souvent transversales). Leur activité principale peut évoluer dans le temps. Le numérique et internet sont communs à la plupart des pratiques. Des cloisonnements trop étroits seraient inadaptés aux pratiques mouvantes et innovantes des artistes-auteurs. La diversification des pratiques doit aussi pouvoir s’exprimer, non être invisibilisée.

Une base de donnée bien construite permettrait des regroupements par critères selon les besoins de l’observation. Elle réconcilierait les deux approches divergentes de la Mda et de l’Agessa en mettant à la portée de tous un outil opérationnel et évolutif capable d’extraire des données selon n’importe quel critère, aussi bien par activité artistique que par circuit de diffusion.

Cette modernisation – qui permettrait de n’occulter aucun métier – faciliterait grandement la gestion du périmètre du champ d’application du régime des artistes-auteurs ainsi que son actualisation selon les évolutions des pratiques et des techniques.

3/ La modification du rôle des commissions « instituées par branches professionnelles ».

L’article 23 de la loi de finance de la sécurité sociale 2018 a modifié le code de la sécurité sociale, notamment les articles L382-1 et L382-2.
À partir de 2019 : « L’affiliation est prononcée par les organismes agréés mentionnés à l’article L. 382-2, s’il y a lieu après consultation, à leur initiative ou à celle de l’intéressé, de commissions, instituées par branches professionnelles.  »

Jusqu’à présent les deux rôles des commissions professionnelles étaient de donner leur avis sur les demandes d’affiliations à titre dérogatoire (pour les artistes-auteurs dont les revenus étaient inférieurs au seuil d’affiliation, le seuil d’affiliation étant le montant de revenu qui ouvre l’ensemble des droits sociaux) et de donner un avis technique sur l’appartenance de ou des activités au champ d’application du régime. Les CPAM entérinaient ces avis.

À partir de 2019, seul le second rôle persistera. En effet, les artistes-auteurs décideront eux-mêmes – via une option dans leur déclaration annuelle – s’ils souhaitent sur-cotiser sur le montant forfaitaire ouvrant l’ensemble des droits sociaux.

Jusqu’à présent l’essentiel de l’activité d’une commission professionnelle portait sur les demandes individuelles d’affiliation à titre dérogatoire, le nombre de dossiers soumis pour avis technique restait marginal.

À partir de 2019, l’activité d’une commission portera exclusivement sur le périmètre du champ d’application du régime commun des artistes-auteurs.

La commission professionnelle de la Mda (23.162 affiliés en 2017) se réunissait régulièrement tous les 15 jours. Chacune des 4 commissions professionnelles de l’Agessa (17.099 affiliés en 2017) se réunissaient moins régulièrement du fait de la division de la gestion de la population en quatre commissions et d’un nombre plus réduit de demandes d’affiliation.

Le regroupement en une seule commission permettait à la Mda un traitement plus rapide des demandes et le nombre cumulé des réunions des quatre commissions de l’Agessa tendait à être supérieur au nombre total de réunions de la Mda. Les bienfaits du principe de la file unique ne sont plus à démontrer en termes d’accueil des usagers ou clients...

4/ Demain plus qu’hier la division en cinq commissions « instituées par branches professionnelles » doit être questionnée.

Dès lors que le rôle des commissions va se limiter à partir de 2019 aux avis techniques sur le périmètre du régime, du simple point de vue de la rapidité de traitement (donc du service rendu aux bénéficiaires du régime), il semble peu rationnel de maintenir cinq commissions distinctes.

Pourquoi imposer par la loi un nombre prédéterminé de commissions ?

Nous avons vu que les cinq pseudo-branches mentionnées dans le code de la sécurité sociale sont mal fondées et qu’elles ne relèvent pas d’une typologie cohérente.

L’avis des professionnels de tel ou tel métier est d’évidence crucial pour informer autrui de l’évolution des pratiques et éclairer les membres d’une commission dont l’objet est de donner un avis technique sur le périmètre du champ d’application.
Doit-on pour autant démultiplier les commissions pour instituer des regroupements corporatistes ? Doit-on privilégier une réflexion commune relative à l’ensemble des activités et des métiers des artistes-auteurs ? Ou favoriser une forme d’entre soi au risque de « petits arrangements entre amis » ?
Les pseudo-branches actuelles ont parfois fini par dessiner des sortes de prés carrés dont la pertinence peut sérieusement poser question en terme d’égalité de traitement [note n°3].

Le pluralisme des membres d’une commission est d’évidence la condition d’un droit à l’égalité des droits. C’est aussi la condition d’une gestion cohérente des artistes-auteurs au sein de leur régime commun, quelle que soient la ou les activités concernées.

La gestion du périmètre du champ d’application doit-elle relever d’une forme de corporatisme ou d’une responsabilité collective commune ? Faut-il maintenir plusieurs commissions pour la gestion du champ d’application ?

Que chaque métier comporte ses spécificités ne doit pas faire perdre de vue ce qui fait sens et ce qui réunit les artistes-auteurs au sein d’un même régime social. La décision d’affiliation au régime notamment ne peut s’avérer arbitraire.

La question du champ d’application du régime social des artistes-auteurs est double, elle concerne la nature des activités exercées et le mode de rémunération qui découle des conditions d’exercice de l’activité. L’essentiel n’est-il pas d’éviter un effet d’aubaine pour des employeurs indélicats ou pour des personnes qui ne seraient pas artistes-auteurs ?
Cette problématique est commune. Les principales questions de fond qui se posent sont transversales : s’agit-il d’une activité d’artiste-auteur ? Y a-t-il une présomption de salariat ? Les réponses apportées nécessitent une réflexion commune et une cohérence, elles ne doivent pas diverger selon le traitement par telle ou telle commission.

Il n’y a qu’une commission d’action sociale. Pourquoi devrait-on à tout prix maintenir à l’avenir cinq commissions professionnelles distinctes ?

Les champs professionnels représentés par les syndicats d’artistes-auteurs sont divers (et sans rapport avec les cinq pseudo-branches instituées). Certains sont centrés sur un seul métier, d’autres plus généralistes sur un ensemble de métiers, certains concernent même statutairement tous les artistes-auteurs. Dont acte.

Le champ d’application de notre régime social nous concerne tous.

Les ordres du jour des réunions d’une unique commission professionnelle pourraient être des études de cas, spécifiques, thématiques ou transversaux : champ d’activité de telle catégorie d’artistes-auteurs, présomption de salariat, activités connexes…

La commission devrait être composée de personnes morales (et non d’individus) : les organisations syndicales et professionnelles des artistes-auteurs et des diffuseurs pourraient ainsi déléguer le représentant le plus pertinent en fonction des sujet abordés. Des juristes (spécialisés en propriété intellectuelle ou en droit du travail) ou d’autres personnes es qualité pourraient être sollicités à titre consultatif selon l’ordre du jour.

La création d’une commission de recours amiable commune aurait également toute sa pertinence dans la nouvelle configuration du régime social.

S’agissant de notre régime social, à ce jour nous considérons que ce qui nous est commun est plus déterminant que ce qui nous différencie et que ce qui nous différencie doit être source d’enrichissement de nos débats et de nos réflexions dans l’intérêt collectif de l’ensemble des artistes-auteurs.