« L’ASSIETTE FORFAITAIRE VOLONTAIRE » UNE SPÉCIFICITÉ FONDAMENTALE DU RÉGIME DE PROTECTION SOCIALE DES ARTISTES-AUTEURS À PRÉSERVER IMPÉRATIVEMENT !

1/ « L’assiette forfaitaire volontaire » : une disposition spécifique due à la particularité des revenus de la création

Une assiette forfaitaire a été instaurée par le législateur dès la création du régime social des artistes-auteurs.

L’instauration d’une assiette sociale forfaitaire et volontaire est une spécificité du régime social des artistes-auteurs due à la particularité des revenus de la création.

La déconnexion entre le travail effectué et l’éventuelle rémunération qui en résulte est la principale spécificité de la création artistique.

Dans le cas des professions appliquées de type classique, l’exercice de l’activité procure systématiquement un revenu immédiat qui est notamment fonction du temps de travail.

En revanche, la création artistique est par nature dissociée d’un revenu immédiat et proportionnel au temps de travail. Exercer une activité artistique, c’est avant tout créer des œuvres. Or, si un artiste-auteur sait quand il commence une œuvre, en revanche il ne sait pas quand elle sera terminée. Et encore moins quand elle sera vendue, diffusée ou exploitée... L’absence, très spécifique, de corrélation entre travail et revenu, se conjugue avec une forte imprévisibilité et irrégularité des revenus de la création artistique. À cette précarité économique particulière – intrinsèque aux métiers de la création – doit répondre une protection sociale adaptée.

La protection sociale des créateurs et des créatrices doit nécessairement prendre en compte leurs conditions d’exercice spécifique donc leur situation socio-économique hors norme.

L’assiette forfaitaire volontaire est un élément clef de la protection sociale des artistes-auteurs. En prenant acte de la dissociation des revenus de la création et de la forte variabilité des revenus des artistes-auteurs d’une année sur l’autre, cette disposition spécifique agit comme un filet de sécurité, un plancher de droits, qui permet notamment de remédier au risque d’une absence ou d’une discontinuité des droits sociaux en raison d’une assiette sociale insuffisante.

Outre les causes inhérentes au travail de création artistique (notamment dissociation et variabilité des revenus), les artistes-auteurs et autrices peuvent également pâtir d’autres circonstances, plus conjoncturelles, qui engendrent une chute d’assiette sociale très conséquente sur leurs droits sociaux :

  • Activité artistique professionnelle réduite en raison d’un congé maternité,
  • Activité artistique professionnelle réduite pour raison de santé ou familiale,
  • Activité artistique professionnelle réduite en raison d’un accident de parcours,
  • Activité artistique professionnelle réduite en raison d’un stage long de formation professionnelle continue,
  • Dépenses exceptionnelles, par exemple coûts de réparation, remplacement de matériel, dégâts des eaux ou du feu, …
  • Investissements nécessaires au développement de l’activité professionnelle (outils, matériels, frais de local professionnel, ...)
  • Gros frais de production d’œuvres originales (les artistes-auteurs sont de loin les premiers producteurs d’œuvres artistiques, notamment visuelles, en France),
  • Etc.

2/ « L’assiette forfaitaire volontaire » : une disposition spécifique créée sur mesure pour protéger socialement les artistes-auteurs qui ne sont pas déjà protégés socialement via une autre activité professionnelle

  • « La création artistique est libre » (article 1 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine).
    Limiter les conditions d’accès ou d’exercice de la création artistique serait contraire à la liberté de création. La création artistique n’est donc pas une « profession réglementée ». La directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 précise à l’article 3-1-a le sens de « profession réglementée » : « Activité ou ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée constitue notamment une modalité d’exercice. »
  • Le code de la propriété intellectuelle protège toutes les œuvres de l’esprit indépendamment de leur mérite ou de leur destination. Selon les dispositions de l’article L. 112-1, le code de la propriété intellectuelle accorde sa protection à toute œuvre de l’esprit « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».
  • Enfin la précarité des revenus de la création artistique pousse certains artistes-auteurs à exercer une autre activité professionnelle notamment pour subvenir à leurs besoins.

Ces trois facteurs conjugués (liberté de création, protection du CPI et précarité) expliquent que de nombreux artistes-auteurs exercent une autre activité professionnelle. Certains bénéficient d’un statut de fonctionnaire, de salarié du secteur privé, de travailleur indépendant agricole ou non, etc.

En conséquence, il existe trois principaux profils socio-économiques d’artistes-auteurs vivants :
Profil A : les artistes-auteurs pour qui l’activité artistique est la principale ou la seule activité professionnelle.
Profil B : les artistes-auteurs pour qui l’activité artistique est une activité professionnelle secondaire habituelle et constante.
Profil C : les artistes-auteurs pour qui l’activité artistique est une activité secondaire marginale et/ou occasionnelle.

Pour la bonne gestion sociale simultanée des trois profils socio-économiques d’artistes-auteurs, il convient, d’une part, de veiller scrupuleusement à protéger effectivement les artistes-auteurs du profil A, notamment ceux dont les revenus sont faibles ou très irréguliers, et il convient, d’autre part, que les droits sociaux se cumulent pour l’ensemble des artistes-auteurs pluriactifs (notamment profil B et C).

L’assiette forfaitaire volontaire est une disposition indispensable pour la protection sociale des artistes-auteurs qui ne sont pas déjà protégés socialement via une autre activité professionnelle (profil A, voire parfois B).

3/ « L’assiette forfaitaire volontaire » : une disposition spécifique initialement dédiée aux « artistes professionnels » puis ouverte sans condition à tout artiste-auteur depuis la réforme de 2018

De la création du régime en 1977 au 31 décembre 2018, la possibilité de cotiser sur l’assiette forfaitaire et de s’ouvrir l’ensemble des droits sociaux du régime était conditionnée à un examen et un accord de la commission professionnelle dont dépendait l’artiste-auteur.

Le décret du 8 mars 1977 précisait dès son 1er article : « Lorsque l’exploitation de ses œuvres n’a procuré, au cours de la période de référence, à l’artiste-auteur que des ressources insuffisantes pour ouvrir droit aux prestations en application de l’article 10 ci-après, l’intéressé peut être affilié au régime de sécurité sociale…s’il fait la preuve devant la commission compétente… qu’il exerce habituellement l’une des activités ». Et l’article 10 : « Les personnes qui ne satisfont pas à la condition prévue au premier alinéa [condition de revenu] peuvent, néanmoins, compte tenu de leurs titres et de leur qualité d’artiste professionnel, avoir droit et ouvrir droit auxdites prestations sur décision prise par la caisse dont elles relèvent après avis de l’une des commissions mentionnées à l’article 1er du présent décret. »

Cette disposition a été codifiée ensuite dans l’article L382-9 du code de la sécurité sociale : « lorsque la vente de ses œuvres ne lui procure que des ressources insuffisantes pour ouvrir droit aux prestations, ce droit peut, compte tenu de ses titres et de sa qualité d’artiste professionnel, lui être reconnu ou maintenu, après avis de la commission professionnelle compétente. »

Ainsi jusqu’au 1er janvier 2019, quand l’assiette sociale d’un artiste-auteur n’atteignait pas le niveau de l’assiette forfaitaire (appelé à l’époque « seuil d’affiliation »), ce dernier pouvait demander à sur-cotiser sur l’assiette forfaitaire. Il appartenait alors aux commissions professionnelles compétentes d’émettre un avis, donc d’accepter ou non qu’il puisse cotiser à hauteur de l’assiette forfaitaire (« affiliation à titre dérogatoire »). Les « affiliés à titre dérogatoire » bénéficiaient ainsi de l’ensemble des droits sociaux du régime à hauteur du montant de l’assiette forfaitaire.
La réforme de 2018 a limité le rôle des commissions professionnelles à la vérification du champ d’application du régime. Désormais tout artiste-auteur peut opter pour sur-cotiser sur l’assiette forfaitaire.

Ainsi actuellement « l’assiette forfaitaire » est définie par l’article R382-25 du code de la sécurité sociale : « Lorsqu’une personne exerce une ou plusieurs activités mentionnées à l’article R. 382-1 et que les revenus qu’elle retire de ces activités au cours d’une année civile sont inférieures à un montant fixé par décret, elle peut opter, dans la déclaration annuelle définie au premier alinéa de l’article R. 382-28, pour que ses cotisations soient établies sur une assiette forfaitaire correspondant à ce montant. ».

Ainsi « l’assiette forfaitaire » est un montant sur lequel un artiste-auteur peut cotiser volontairement quand sa propre assiette sociale est inférieure à ce montant. L’assiette forfaitaire volontaire est donc une disposition spécifique au régime social des artistes-auteurs qui rend possible une continuité de la protection sociale en permettant à l’artiste-auteur de cotiser sur un montant supérieur à celui effectivement perçu et de s’ouvrir les droits sociaux attenants.

NB : Cette disposition a été créée en faveur des artistes-auteurs qui n’ont pas d’autre régime de sécurité sociale, il s’agit de celles et ceux pour qui l’activité artistique est la principale ou la seule activité professionnelle (profil A). Elle est cruciale pour les artistes-auteurs qui ne s’ouvrent pas de droits sociaux via une autre activité professionnelle. Pouvoir cotiser sur une assiette forfaitaire suffisante est le filet de sécurité indispensable pour les mauvaises années de leur carrière.

Depuis la réforme, les artistes-auteurs pluriactifs (profil B et C) peuvent également sur-cotiser et ainsi optimiser leurs droits sociaux, éventuellement jusqu’au plafond de la sécurité sociale. En effet, les droits ouverts dans le régime général (revenus d’artistes-auteurs + salaires) se cumulent.

4/ « L’option de sur-cotisation » et « l’assiette forfaitaire volontaire » en pratique

Éligibilité  : seuls les artistes-auteurs ayant une assiette sociale inférieure au montant de l’assiette forfaitaire peuvent opter pour cotiser volontairement sur la base de cette dernière. Avant le 1er janvier 2019, un accord des commissions professionnelles compétentes était nécessaire, ce n’est plus le cas.

Modalités pratiques : L’option de sur-cotisation sur l’assiette forfaitaire au titre de l’année N est possible au moment de la déclaration sociale de revenu à l’Urssaf Limousin en N+1. Il suffit de cocher l’option dans le formulaire de déclaration. L’option sera alors prise en compte dans la régularisation des cotisations dues au titre de l’année N.

Coût de la sur-cotisation : Seules les cotisations de sécurité sociale stricto sensu sont visées par la sur-cotisation (donc en l’espèce, seule la cotisation vieillesse à 6,15 % est concernée). Le calcul de la CSG et la CRDS (ces contributions, respectivement à 9,20 % et à 0,50 %, sont des impôts) et le calcul de la cotisation pour la formation continue (à 0,35 %) restent basés sur l’assiette sociale réelle (et non forfaitaire) de l’artiste-auteur.

Commission d’action sociale : En cas de difficultés financières, l’artiste-auteur qui a opté pour une sur-cotisation peut demander une aide auprès de la commission d’action sociale (CAS) qui pourra prendre en charge tout ou partie de la cotisation vieillesse calculée sur l’assiette forfaitaire.

La pire régression sociale depuis la création du régime des artistes-auteurs !
Dans un prochain article, nous reviendrons plus précisément sur la mise en pratique de la sur-cotisation et de l’assiette forfaitaire volontaire ainsi que sur les conséquences dramatiques de son abaissement autoritaire de 900 à 600 SMiC horaire par le gouvernement en fin d’année 2021 (modification de l’article D382-4 par l’article 2 du décret N°2021-1937 du 30 décembre 2021).