Enterrer le droit de présentation publique : une priorité du ministère de la Culture ? 

Rapport sur le droit d’exposition, 2004

Le CAAP publie le rapport sur le droit d’exposition, demandé par le ministre de la Culture en 2004 et rangé discrètement dans un tiroir par manque de courage politique : ce rapport prônait en effet la mise en œuvre du droit d’exposition.




Sur le sujet des droits d’auteurs liés à la présentation publique de leurs œuvres voir également cet article : L’info Noir/blanc n° 31 - Droit de présentation



2004. Un rapport sur le droit d’exposition
Sous la pression et les demandes insistantes des organisations professionnelles (principalement le CAAP et le SNAP-CGT) et de la FRAAP, un rapport sur le droit d’exposition est demandé en 2004 par le ministre de la Culture à l’inspection général de l’administration des affaires culturelles. Ce rapport est rédigé par M. Serge Kancel, inspecteur général.

2005. Un rapport mis dans un tiroir
Malgré de multiples demandes des organisations professionnelles, le rapport ne sera pas rendu public. Mis dans un tiroir, il sera vite oublié. La DAP (délégation aux arts plastiques, ministère de la Culture) bloque sa publication en invoquant des prétextes futiles, tels que « un deuxième rapport aurait été demandé pour faire une analyse plus fine du poids économique que représenterait l’application du droit d’exposition ». Deuxième rapport dont l’existence n’a jamais été confirmée.

En réalité, la non-publication de ce rapport est liée a plusieurs raisons :

1. Le rapport préconise que le droit d’exposition doit être appliqué, même s’il précise qu’il doit l’être avec mesure et en définissant certains cadres. Le titre du chapitre 2 du rapport est à cet égard très clair : « II - La reconnaissance effective d’un droit d’exposition parait aujourd’hui pertinente », et ainsi que le titre du sous chapitre « II.2 - Sur le fond, la légitimité d’un droit d’exposition n’est pas douteuse ». Publier le rapport aurait donc obligé le ministère de la Culture de reconnaître la légitimité des demandes des artistes-auteurs et de le mettre en œuvre.

2. Cette reconnaissance du droit d’exposition aurait entraîné une véritable révolution des mentalités des diffuseurs – et principalement des diffuseurs publics : face à l’argument toujours avancé que les diffuseurs font la promotion des artistes, aurait été reconnue que la promotion n’est en aucune manière une rémunération des artistes-auteurs.

3. Par ricochet, cette reconnaissance aurait aussi mis en lumière un constat et provoqué un changement d’attitude :

  • Le constat est que dans toute négociation entre un diffuseur et un artiste, ce dernier est toujours dans la position du dominé, ainsi que le rapport l’énonce clairement : « L’autre inconvénient d’une négociation systématique est qu’elle pourrait avoir pour effet de fragiliser l’auteur et d’en faire systématiquement la partie faible de cette négociation, les structures de diffusion ne pouvant qu’être tentées de pratiquer un "chantage à l’exposition" » (page 26). Et c’est bien ce qui prévaut encore majoritairement à l’heure actuelle.
  • Le changement d’attitude aurait été d’engager l’ensemble des acteurs à reconnaître que l’absence de cadres contractuels entre les diffuseurs et les artistes se fait toujours au détriment des artistes et qu’il était urgent que le milieu de l’art contemporain s’ouvre à une culture du contrat et adopte un code de déontologie. Mais, en rentrant dans un cadre contractuel, les diffuseurs, ainsi que les représentants de l’État, auraient dû abandonner leurs manières de faire et leur mode de pensée, c’est-à-dire arrêter de donner la primauté au rapport individuel avec les artistes, cesser de se placer au centre des réseaux de construction des parcours artistiques et de flirter en permanence, et comme si c’était sans conséquence, avec le marché de l’art, enfin de penser des règles équitables non pas pour un ou une centaine d’artistes mais pour l’ensemble des artistes.

4. Enfin la prise en compte du droit d’exposition aurait eu de multiples effets que l’on peut vite énumérer :

  • La nécessité pour les structures de diffusion de créer et d’identifier clairement dans leurs comptes une ligne budgétaire pour les droits d’auteurs et de demander en conséquence les subventions nécessaires afin que l’Etat et les collectivités locales réalisent enfin que des droits d’auteurs sont dus aux plasticiens comme pour tous les autres artistes auteurs.
  • Pédagogiquement, il aurait ouvert une brèche dans l’espace de gratuité qui domine l’activité des plasticiens et permis d’étendre les analyses sur l’économie non visible de ce secteur
  • Il aurait été aussi un levier pédagogique pour les artistes afin qu’ils prennent connaissance de leurs droits et les fassent respecter.
  • Éventuellement, comme le préconisait le rapport, son application aurait provoqué un rapprochement des sociétés civiles d’auteurs (ADAGP et SAIF) en construisant un barème commun pour le droit d’exposition et un guichet unique pour sa perception.

Un manque flagrant, mais habituel, de courage politique de la Délégation des arts plastiques

Publier le rapport aurait été une marque de courage politique et l’affirmation que le ministère de la Culture (DAP, délégation aux arts plastiques, devenu depuis DGCA, direction générale de la création artistique) privilégiait la transparence des relations entre les intermédiaires de l’art et les artistes, ainsi que les questions économiques et sociales qui sous-tendent ces relations. C’en était trop demander à une délégation des arts plastiques qui a eu rarement le courage politique d’analyser le mode de fonctionnement de ses structures pour en tirer des conséquences. Ouvrir le chantier du droit d’exposition était l’occasion inespérée pour le ministère de mettre en place une vraie politique pour les arts plastiques, comme le souligne le rapport : « La consolidation d’un droit d’exposition constituerait une avancée considérable pour les artistes. […] Il y a là une occasion, peut-être historique, d’améliorer de façon significative la prise en compte collective, qu’on peut juger aujourd’hui insuffisante, de la situation des artistes-plasticiens dans notre pays. » (page 45). Mais comme la délégation aux arts plastiques a toujours été, à quelques exceptions près, plus attentive aux plaintes constantes des diffuseurs, le choix le plus simple était d’enterrer le rapport et surtout, sous couvert de défendre les structures institutionnelles, de continuer à favoriser les diffuseurs plutôt que les artistes.

Depuis 2005. Le ministère a préféré entériner « un îlot de “non droit d’auteur” ».

La dérobade du ministère de la Culture a consolidé ce que le rapporteur a appelé à juste titre « un îlot de “non droit d’auteur” ». Le rapport est à cet égard clair : « sur le fond, quelles que soient les inquiétudes exprimées avec raison par les diffuseurs d’art contemporain, on peut considérer que l’existence d’un îlot de "non droit d’auteur" concernant un des modes les plus naturels de diffusion des œuvres, reste passablement insolite, et difficilement défendable à terme. Par ailleurs, on imagine difficilement comment assumer auprès des créateurs eux-mêmes une position politique consistant à supprimer définitivement un droit que l’évolution a peu à peu installé dans les esprits. On ne peut pas davantage faire comme si le problème ne se posait pas et refermer le couvercle de la boîte de Pandore, dans la mesure où l’arrêt de la Cour de cassation vaut jurisprudence et où, accessoirement, la commande du présent rapport est connue et ses propositions sont attendues par les représentants des artistes. Pour toutes ces raisons, au vu de l’équilibre des arguments des uns et des autres, on préconisera ici, sans réelles réserves, la validation d’un droit d’exposition dans notre pays. Mais cet équilibre même plaide pour la mise en place d’un régime mesuré, progressif, et adaptable à la multitude des cas de figure. » (page 23).

Et c’est sans doute cette position claire et évidente, mais embarrassante pour le ministère, qui a valu à ce rapport son enterrement.

2013. Qu’attend donc le ministère de la Culture ?

Le ministère de la Culture a-t-il pris connaissance de ce qu’écrivait le candidat François Hollande il y a moins d’un an :
« Il ne peut y avoir de création indépendante sans une juste rémunération du travail artistique. Je sais que la situation des artistes plasticiens est particulièrement difficile. Ils se retrouvent le plus souvent seuls et sans appuis et ne parviennent pas toujours à faire respecter le droit de présentation publique. Ce droit doit être appliqué et par conséquent la présentation publique rémunérée ... » (réponse de François Hollande au courrier adressé par la FRAAP aux candidats à l’élection présidentielle, 16 avril 2012, lien : http://www.fraap.org/article519.html ).

Le 04 septembre 2012, M. Paul Molac, député (écologiste) du Morbihan (publié ici), puis le 02 octobre 2012, Mme Carrey-Conte Fanélie, députée (socialiste) de Paris, (publié ici) ont posé à Mme la ministre de la Culture une question à propos du droit de présentation publique, en soulignant la difficulté qu’ont les artistes plasticiens a faire respecter ce droit « dans les exposition subventionnés par l’État ou les collectivités locales ». La réponse de la ministre est sans ambiguïté : « L’application effective du droit de présentation publique est une priorité pour l’amélioration de la rémunération des artistes, qui sont très souvent dans l’obligation d’exposer gratuitement. La mise en place de conditions d’application effective de ce droit fait l’objet d’un rapport qui sera rendu par l’inspection générale de la création artistique avant la fin 2012. » (voir pièces jointes)

Qu’en est-il de ce nouveau rapport ? Qui a été consulté ? Reprend-il les conclusions du rapport de 2004 que nous publions ? A-t-il était déjà rendu ? Quand sera-t-il diffusé ? Comme toujours, c’est à l’aune des actes et non des discours que le CAAP mesure la réalité des volontés politiques. Jusqu’à ce jour, force est de constater que nul n’a entendu parler de ce rapport, qu’aucun changement n’est perceptible, ni dans l’action, ni dans l’attitude du ministère de la culture et de la DGCA …


Voir notre dossier de septembre 2004


Documents à télécharger

Droit d’exposition : question de M. Paul Molac, député
Droit d’exposition : question de Mme Carrey-Conte Fanélie, députée
Rapport droit d’exposition
Résumé du rapport droit d’exposition