SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES-AUTEURS : RÉGULARISER OU FAIRE SEMBLANT DE RÉGULARISER LE PASSIF CALAMITEUX DE L’AGESSA ? (2ème épisode)

La direction de la sécurité sociale (DSS) du ministère des affaires sociales et de la santé, bien que parfaitement informée et en charge du contrôle de légalité, a laissé se développer des pratiques illégales au sein de l’Agessa. Pratiques qui portent gravement préjudice aux artistes-auteurs non affiliés, et ce, depuis une quarantaine d’année. Ces irrégularités ont notamment été pointées en 2005 et 2013 par deux rapports conjoints de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et de l’Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC).

Aujourd’hui la DSS travaille à la rédaction d’une circulaire qui en théorie devrait « rétablir les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux ». Une première réunion de concertation s’était tenue le 14 décembre 2015 (voir ce lien). Notons pour mémoire que ces pratiques fautives se poursuivent actuellement et que le directeur de l’Agessa - nommé par la DSS - a non seulement été maintenu à son poste mais également promu en 2011 à la direction de la MDA–sécurité sociale…

En droit, pour des raisons évidentes, il est extrêmement rare que les responsables d’actes illicites décident eux-mêmes des modalités de réparation des dommages qu’ils ont causés. Telle est pourtant la situation ici : on attend de la DSS qu’elle remédie aux préjudices qu’elle a causés aux 200 000 non affiliés de l’Agessa.

1/ UNE SECONDE RÉUNION S’EST TENUE LE 28 AVRIL 2016

La DSS, en présence de la direction générale de la création artistique (DGCA) et de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture et de la communication, a convié les représentants des organisations professionnelles à une seconde réunion qui s’est tenue le 28 avril 2016 dans les locaux du ministère des affaires sociales et de la santé. Le mail de convocation du 15 avril 2016 précisait : "Cette réunion fait suite à la première étape de concertation organisée le 14 décembre 2015 et aura pour thème unique la mise en place d’une procédure de régularisation de cotisations prescrites pour les artistes auteurs. Elle sera l’occasion de recueillir vos derniers commentaires et observations en vue de la publication de la circulaire de mise en place de ce dispositif qui vous sera transmise en amont de cette réunion ».
Un mail du 25 avril (3 jours avant la réunion) nous communiquait le projet de circulaire tout en spécifiant : « Je tiens à vous rappeler qu’il s’agit évidemment d’un document de travail sur la base duquel nous pourrons échanger et dont la diffusion devra restée pour le moment restreinte aux organisations professionnelles ». Ce document n’est donc pas indexé à cet article, sa diffusion publique ayant été expressément proscrite par la DSS. En revanche les membres du CAAP peuvent en prendre connaissance dans l’espace adhérent du site avec ce lien (Document : AGESSA projet de circulaire à ne pas diffuser).

Bien que légèrement améliorées en regard de la première réunion, les modalités de réparation proposées par la DSS restent largement inacceptables. D’autant que la question du remboursement des cotisations indues est toujours sciemment évacuée. Ce sujet avait pourtant été clairement rappelé dans notre précédent courrier du 29 décembre 2015. Ni la ministre, ni la DSS n’ont daigné y répondre.

2/ LE COURRIER DES ORGANISATIONS SYNDICALES SUITE À LA RÉUNION DU 28 AVRIL 2016

Madame Marisol TOURAINE
Ministère des Affaires Sociales et de la Santé
14 avenue Duquesne
75350 PARIS 07
Paris, le 18 mai 2016,

Objet : régularisation des cotisations sociales des artistes-auteurs postérieures au 31 janvier 1975

Madame la Ministre,

Après une première réunion de concertation qui s’est tenue le 14 décembre 2015, vos services nous ont réunis le 28 avril 2016 pour nous présenter une nouvelle version du projet de circulaire relatif au dispositif de régularisation des cotisations dites prescrites des artistes-auteurs. La nécessité de ce dispositif découle principalement des pratiques illégales de l’Agessa depuis sa création jusqu’à nos jours. Désormais il appartient à l’Etat d’apurer ce passif plus que regrettable.

A cet effet, dans un courrier conjoint avec Madame la ministre de la culture en date du 29 juillet 2015, vous vous êtes engagée à « rétablir les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux ».

Il convient donc d’envisager un dispositif adapté et accessible au plus grand nombre, pour que les artistes-auteurs qui n’ont pas été appelés à cotiser à l’assurance vieillesse et/ou qui ont cotisé sur une mauvaise assiette soient pleinement rétablis dans leurs droits.

Juridiquement le principe essentiel qui découle de la notion même d’acte illicite est que « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis".

L’Etat est aujourd’hui tenu de réparer les dommages résultant de ses actes. Sauf excès de pouvoir, la prescription triennale prévue dans le code de la sécurité sociale ne peut être invoquée pour refuser une réparation équitable au bénéfice des artistes-auteurs

I - Le droit à un règlement équitable et complet des actes illicites de l’Agessa

Nous observons tout d’abord que la base légale du projet de circulaire est insuffisante pour permettre d’apurer pleinement le passif préjudiciable de l’Agessa.
En effet l’article R.351-11 du code de la sécurité sociale vise exclusivement la régularisation des cotisations vieillesse. Or vous n’ignorez pas que les pratiques illicites de l’Agessa ne portent pas exclusivement sur les cotisations d’assurance vieillesse mais également sur les autres cotisations sociales. Comme vous le savez en violation du code de la sécurité sociale, l’Agessa impose depuis sa création aux non affiliés déclarant en BNC de cotiser sur leur chiffre d’affaires au lieu de leur bénéfice. L’application de cette mauvaise assiette génère un versement de cotisations sociales indues jamais remboursées.

Une régularisation des cotisations sociales des artistes-auteurs pour cause de dysfonctionnement notoire ne peut s’attacher exclusivement au rachat des cotisations vieillesse non appelées sans envisager simultanément une procédure de remboursement des cotisations sociales indûment versées. Les délais de prescription en matière de cotisations sociales sont identiques pour les cotisations impayées et les remboursements de trop-perçu. Le mécanisme de régularisation des cotisations des artistes-auteurs doit permettre d’apurer totalement le passif de l’Agessa donc de régulariser l’ensemble des pratiques illicites constatées pour effectivement rétablir les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux.

Dans le cas particulier qui nous occupe, l’obligation de remboursement nait incontestablement d’un défaut du contrôle de légalité de l’Etat, il est donc légitime de considérer que le délai de prescription prévu par l’article L243-6 du code de la sécurité sociale n’est nullement opposable et que les demandes de remboursement doivent pouvoir porter sur l’ensemble des périodes concernées.
Le délai de prescription de l’action en restitution des cotisations ne peut raisonnablement commencer à courir alors même que les artistes-auteurs lésés ignorent encore le préjudice subi.
De plus, en tout état de cause et dans les circonstances présentes, le fait d’opposer aux artistes-auteurs concernés la prescription triennale les priverait de la possibilité effective de récupérer les sommes indûment versées et ce, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à ladite Convention.
Le développement de la jurisprudence a multiplié les cas où une satisfaction équitable a été attribuée aux requérants. Sur des périodes supérieures à 3 ans, il a été jugé qu’en regard des circonstances, la demande de remboursement des cotisations indûment versées n’était pas prescrite. L’URSSAF a ainsi pu être condamnée à rembourser l’intégralité de versements indus sur des périodes largement supérieures à 3 ans.

En conséquence nous demandons expressément que le projet de circulaire vise non seulement le paiement rétroactif des cotisations vieillesse mais également les modalités de remboursement intégral des cotisations indûment versées par les non affiliés de l’Agessa déclarant en BNC (dont le nombre est actuellement estimé à 25% des non affiliés soit environ 50.000 artistes-auteurs).

II - La cessation immédiate des pratiques illicites de l’Agessa induisant la perception de cotisations indues

La carence du contrôle de légalité des ministères de tutelle ne peut raisonnablement perdurer.
Afin de ne pas continuer à générer des versements de cotisations indues, il convient que les ministères de tutelle imposent dès maintenant à l’Agessa d’identifier et de fournir la dispense de précompte à tout cotisant déclarant ses revenus en BNC, et ce, indépendamment de toute procédure de régularisation (prescrites ou non).

De même, il convient qu’il soit imposé à l’Agessa de cesser de faire payer aux artistes-auteurs des contributions diffuseurs (par exemple quand le diffuseur est à l’étranger, quand il s’agit de vente d’œuvres à particulier, etc.). Il est également indispensable que l’Agessa cesse d’opposer la prescription triennale aux artistes-auteurs qui demandent le remboursement de ces sommes indues (ou que les modalités de remboursement de ces indus soient également prises en compte dans la circulaire).

III - La régularisation des cotisations vieillesse prescrites

Le projet présenté le 28 avril pose d’importants problèmes d’effectivité. Un dispositif qui serait aussi peu fonctionnel relèverait d’un leurre en regard de l’objectif à atteindre. Il convient notamment de revoir la période d’ouverture envisagée et les modalités de calcul du montant de la régularisation. La révision de ces deux points et des suivants est essentielle pour rendre effectif le dispositif. Lequel, au final, doit être « crédible et possible pour les auteurs » qui « ont été victimes de la mauvaise organisation du système ».

a/ Demande de régularisation sur une période non limitée

Le projet du 28 avril prévoit une période de régularisation limitée à 5 ans entre le 1er juin 2016 et le 31 décembre 2021.

Nous demandons à ce que le dispositif soit ouvert sans limitation de durée à l’instar du régime général. Avec la limitation envisagée le dispositif ne serait nullement fonctionnel. C’est le plus souvent au moment de la liquidation de leur retraite que les artistes-auteurs découvrent qu’ils n’en ont pas ! Ils s’aperçoivent alors que leurs cotisations plafonnées d’assurance vieillesse, qui auraient dû légalement être appelées, ne l’ont pas été … De plus, l’information de personnes qui aujourd’hui encore ne sont toujours pas identifiées, ni gérées correctement, par l’Agessa pose un problème irrésolu. D’autant que les fonds nécessaires à la mise en place d’un système informatique opérationnel et commun aux deux organismes sociaux ne sont toujours pas débloqués par la DSS.

b/ Périodes d’activité artistiques pouvant donner lieu à régularisation par tranches de 3 ans

La période de régularisation porte sur les années postérieures au 31 décembre 1975. Le rachat de trimestres est possible par tranches minimales de trois années civiles consécutives avec une reconstitution intégrale des revenus artistiques annuels sur cette sous-période.

Le projet du 28 avril prévoit aussi un nombre de périodes limitées à cinq tranches de régularisation. Cette limitation supplémentaire n’est pas en cohérence avec la durée totale de la période de régularisation qui porte sur plus de quarante ans. Si les tranches de trois ans nous paraissent envisageables en regard de la capacité de rachat d’un artiste-auteur, en revanche imposer aux artistes-auteurs lésés sur une période supérieure à 15 ans des tranches de rachat supérieures à 3 ans constituerait une inégalité de traitement et une forme de double peine : plus l’artiste-auteur a été lésé moins les tranches de rachat seraient financièrement accessibles. Rien ne justifie qu’un artiste-auteur qui aurait été lésé pendant 40 ans soit obligé de régulariser par tranches de 8 ans. En conséquence nous demandons la suppression de cette seconde limite de cinq périodes qui n’a pas lieu d’être et porte préjudice en particulier aux artistes-auteurs qui ont été lésés le plus longtemps.

c/ Calcul du montant de la régularisation

Le projet de circulaire renvoie aux règles fixées aux sept premiers alinéas de l’article R.351-11 du code de la sécurité sociale, ce qui impliquerait des majorations importantes à la date du versement pour régularisation par les artistes-auteurs alors que la capacité contributive de ces derniers est notoirement limitée et que l’Etat est pleinement responsable du dommage subi.

Nous demandons la suppression de toute majoration comme le préconise à juste titre le rapport IGAC-IGAS de 2013 dans sa recommandation N°4 : « ouvrir une possibilité de paiement rétroactif des cotisations vieillesse des artistes auteurs, avec un texte réglementaire, s’approchant des conditions générales, mais adapté à la situation des artistes auteurs. »
Les rapporteurs précisent : « La prise en compte des coefficients de revalorisation (1° du II du R351-11), ainsi que l’actualisation de 2,5% par an (3° du II), justifiées pour des employeurs indélicats, seraient dissuasives pour les auteurs. Le taux de cotisation doit être de 6.75 % (+0.10 % vieillesse déplafonnée) comme dans les textes actuels, et non de 9% (3° du II) … S’agissant d’une carence dans la gestion du régime, sans décision des autorités de tutelle malgré les informations depuis des années sur le sujet, il est envisageable d’ouvrir cette possibilité de rachat dans des conditions accessibles pour les intéressés. ». Non seulement « envisageable » mais indispensable.

d/ Modalités de règlement des versements de cotisations vieillesse prescrites

Le projet de circulaire prévoit que le règlement est « effectué par virement ou chèque bancaire en un versement unique. Toutefois, à la demande expresse de l’assuré, ce versement peut être échelonné en mensualités sur une ou trois années ».

Il convient que la durée maximale du règlement échelonné soit en cohérence avec la durée de la période de régularisation. Ainsi un artiste-auteur qui régulariserait une période de 6 années consécutives doit naturellement pouvoir échelonner son règlement sur 6 ans. Il serait absurde qu’il soit obligé de fractionner sa période de régularisation en deux pour pouvoir en effectuer le règlement sur deux fois 3 ans, soit au final 6 ans.

Nous demandons que les modalités de règlement soient sur option de l’assuré :

  • un règlement échelonné par prélèvement mensuel sur une durée identique à celle de la période de régularisation, avec possibilité de remboursement anticipé du reste dû sur demande.
  • un règlement échelonné par prélèvement mensuel sur une durée choisie, inférieure à celle de la période de régularisation, avec possibilité de remboursement anticipé du reste dû sur demande.
  • un versement unique effectué par virement ou chèque bancaire.

e/ Pièces justificatives
L’ensemble de la partie du projet de circulaire consacrée aux « Pièces justificatives requises » nécessite une réécriture complète tant il est déconnecté de la réalité des conditions d’exercice et des modalités déclaratives des artistes-auteurs.

Les artistes-auteurs déclarant leurs revenus artistiques en BNC sont purement et simplement omis. Le justificatif normal est l’avis d’imposition annuel qui mentionne le montant des BNC.
Concernant les artistes-auteurs déclarant leurs revenus artistiques en traitements et salaires, il est tout à fait irréaliste d’envisager qu’ils puissent obtenir un relevé de carrière « établi et authentifié par le ou les diffuseurs » alors que dans la pratique quotidienne ils rencontrent déjà de grandes difficultés à obtenir systématiquement les certifications de précompte qui sont, en 
théorie, obligatoirement transmises par le diffuseur à l’auteur au moment du versement des droits.

Distinguer les artistes-auteurs selon qu’ils perçoivent leurs droits en gestion collective ou en gestion individuelle est une pure vue de l’esprit, les artistes-auteurs perçoivent des droits simultanément selon les deux modes de gestion.
Nous demandons une réécriture de la partie consacrée aux « pièces justificatives requises » afin qu’elle soit en adéquation avec les conditions réelles d’exercice et les modalités déclaratives de revenu effectives des artistes-auteurs.

L’ensemble des dispositions préconisées ci-dessus est indispensable pour rendre réellement accessible le dispositif et réellement effectif le mécanisme réparateur. Un dispositif qui s’avèrerait inadapté à la situation et à ses causes, partiel et/ou inapplicable, serait dénué de sens faute d’atteindre l’objectif fixé : « rétablir les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux ».

La responsabilité des ministères de tutelle est incontestablement et pleinement engagée. Or en l’état le projet de circulaire proposé le 28 avril 2016 est encore loin d’être à la hauteur des dommages causés par l’Etat à plus des trois quarts des artistes-auteurs.

En conséquence, nous vous demandons de revoir la rédaction de cette circulaire et de prévoir une nouvelle rencontre avec les organisations professionnelles des artistes-auteurs.

Nous vous prions, Madame la ministre, d’agréer l’expression de notre haute considération.

AdaBD (Association des Auteurs de Bandes Dessinées)
CAAP (comité des Artistes Auteurs Plasticiens)
SELF (Syndicat des Ecrivains de Langue Française)
SMDA Cfdt (Syndicat Solidarité Maison des Artistes CFDT)
SNAA-FO (Syndicat National des Artistes Auteurs FO)
SNAPcgt (Syndicat National des Artistes Auteurs Plasticiens CGT)
SNP (Syndicat National des Photographes)
SNSP (Syndicat National des Sculpteurs Plasticiens)
UNPI (Union Nationale des Peintres illustrateurs)
USOPAV (Union des Syndicats et Organisations Professionnelles des Arts visuels)

Contact :
actart@orange.fr
USOPAV c/o La Fabrik 23, rue du Docteur Potain 75019 Paris.

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AGESSA Courrier Marisol TOURAINE 18_mai_2016