L’info Noir/blanc n° 4

SOMMAIRE DU N° 4

  • Panoramique des ateliers - les ateliers du ministère, de la Cité internationale
    des arts et de la Ville de Paris
  • Une allocation spécifique, l’ASS : une aide méconnue qui fonctionne sur le
    modèle des allocations spectacle
  • L’Acre. Considérés comme des travailleurs indépendants, les artistes peuvent
    bénéficier de l’aide à la création d’entreprise.
  • Maison des artistes ou Agessa ?
  • Des aveugles persistent à vouloir juger les œuvres sur des critères de forme plutôt que de contenu. Ils adressent une lettre d’exigence au président de la République : ça « réactionne de partout »
  • Notre guide

EDITO

Attitudes obscènes

Le temps de la rancune, ou comment le révisionnisme s’applique aussi au domaine le plus fragile de la culture

Il souffle sur le milieu de l’art plastique français un vent de révolte pour le moins... réactionnaire.

En effet, confondant allègrement la notion d’intelligence avec celle de connaissance, l’aspect des choses et leur véritable contenu, la suffisance et la complaisance, le savoir-faire et le sensible, quelques-uns de nos « savants » historiens se croient autorisés à renier d’un seul bloc la production plastique française de ces vingt ou trente dernières années. À la suite de l’intervention pour le moins remarquée de Baudrillard il y a quelques mois, nous avons vu surgir dans la presse de ces derniers jours* Jean Clair et Marc Fumaroli qui n’ont pas hésité à évoquer avec regret la disparition de notions telles que « la science des coloris », « la pratique du dessin » et « la complexité d’un savoir-faire qui a atteint sa plénitude peut-être au siècle dernier » …

Ainsi, faisant référence à Horace et à la notion de goût, lorsqu’ils prétendent que « aujourd’hui, on serait bien embarrassé de devoir utiliser ces termes, quand la perte sensorielle s’accompagne d’un déficit intellectuel, quand l’oeuvre n’a plus ni sens, ni goût ! » ,ils oublient de préciser qu’à travers leurs critiques, c’est moins leurs regrets qu’ils expriment que leurs incapacités personnelles à percevoir et à discerner, à lire et à jouir de la nourriture intellectuelle qui leur est proposée à travers la production contemporaine ...

Il semblait pourtant acquis que la simple option subjective du goût ne pouvait suffire ni à définir ni à justifier une oeuvre élaborée et réalisée dans le cadre de l’art contemporain. L’oeuvre achevée est l’aboutissement d’un travail de recherche dont les sources et les éléments, n’en déplaise à certains historiens, sont issus bien souvent de sphères extérieures au domaine de l’art et à son histoire. L’esthétique qui en découle, tout en continuant à fonctionner sur des principes de forme, de couleur, de matière, trouve dans ce processus même d’élaboration une part importante de sa nourriture. Cette notion d’esthétique ne relève donc plus seulement du « beau », mais également d’un registre plus subtil et plus sensé de la pensée ... Si nous parvenons encore à être émus ou bouleversés, amusés ou inquiétés en présence d’une œuvre, c’est effectivement davantage par le processus de pensée que la forme engendre et par la re-visitation des acquis intellectuels qu’elle provoque, que par l’objet fini. Dans ce cadre, nous sommes en présence d’un objet qui, pour un temps, re-formate (dans le sens analogique du terme) notre structure de pensée, nous déstabilise et réoriente nos points de vue. La notion d’esthétique n’appartient plus au domaine du beau, mais à celui de l’intelligence et à nos capacités respectives à gérer cette nourriture spirituelle.

De la même manière, et n’en déplaise à Jean Clair et Marc Fumaroli, nous n’avons pas à répondre à une « attente » du public, pas plus qu’à la leur. Nous faisons sons notre travail et nous le faisons bien ... Certes, on peut toujours regretter, et nous le regrettons, les dérapages et la qualité médiocre de certaines productions, on peut toujours constater la faiblesse, l’incompétence et l’irresponsabilité de certains responsables d’institutions publiques ou privées et le gaspillage de moyens et d’énergie qu’une politique de subvention ne manque pas de produire, mais on ne peut pas prétendre impunément que le public et « les hommes qui font profession de penser » se détournent de l’art plastique français, et encore moins que celui-ci n’existe plus ... Vous seriez bien surpris, messieurs, du nombre d’artistes qui non seulement ont un savoir et une pensée à la hauteur de la vôtre, mais qui seraient capables de vous emmener bien loin sur des chemins subtils, de bon goût et d’originalité
que vous ignorez consciencieusement...

Dans notre métier, comme dans la vie, j’ai souvent le sentiment que l’Histoire nous rattrape. J’ai évoqué le mois dernier la notion de collaboration et voici venu le temps du révisionnisme ... Le Pen cherchait des cautionnements culturels, il semblerait qu’il/es ait trouvés.

Soyez donc sur vos gardes les futurs Perec, Boulez et Godard....

J.F.

• Nous consacrons une partie importante de la revue de presse à ces articles.