RÉGIME SOCIAL DES ARTISTES-AUTEURS : SE RÉFÉRER À L’ARTICLE 98 A du CODE GÉNÉRAL DES IMPÔTS, UNE HÉRÉSIE QUI PERDURE !

Il est rare qu’un article de code général des impôts fasse rire ou sourire, c’est pourtant le cas de l’article 98 A de l’annexe III du code général des impôts tant il est déconnecté de la diversité de la création artistique aujourd’hui et de ses conditions d’exercice. Mais le rire devient jaune dès lors qu’on perçoit les conséquences du caractère suranné et inapproprié de cet article, malheureusement exporté dans le régime social des artistes-auteurs via le 3° de l’article R382-2 du code de la sécurité sociale.

Sur le principe, toute vente d’œuvre originale devrait être cotisée dans le régime social des artistes-auteurs. Que certaines œuvres en soient actuellement artificiellement exclues apparaît difficilement justifiable, ni même applicable.

Le critère pertinent en matière sociale devrait être le même pour tous les artistes-auteurs, quel que soit leur domaine d’activité : créer des œuvres originales au sens du code de la propriété intellectuelle (portant l’empreinte de la personnalité de son auteur). Pour mémoire en cas de litige sur le caractère original d’une œuvre — légalement — seul le tribunal de grande instance est compétent.

Or le code de la sécurité sociale (CSS) introduit une discrimination entre artistes-auteurs au détriment des « auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques ». En effet dans l’article R382-2 du code de la sécurité sociale pour ces derniers les œuvres sont limitées à « celles définies par les alinéas 1° à 6° du II de l’article 98 A de l’annexe III du code général des impôts » alors que pour tous les autres artistes-auteurs, le même article du CSS se réfère uniquement aux « articles L. 112-2 ou L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle ». L’article L.112-2 du CPI concerne pourtant également les « auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques ».

L’objet de l’article 98 A du CGI est de définir le champ d’application des objets dont la vente bénéficie d’une TVA réduite à 5,5%. Son objet n’est pas de définir une « œuvre d’art », ni le champ d’application du régime social des artistes-auteurs (c’est-à-dire des auteurs d’œuvres artistiques).

Ce que l’article 98A du CGI considère limitativement comme « œuvres d’art » pour octroyer cette réduction de TVA n’a jamais été actualisé depuis des décennies. Seules les œuvres « entièrement exécutés à la main par l’artiste » sont visées. Cet article fiscal est déconnecté de la réalité des œuvres produites et vendues par les artistes-auteurs d’aujourd’hui, ainsi que de leurs conditions de réalisation.

Dans sa liste limitative, l’article 98A du CGI exclut diverses œuvres originales.

Soit parce qu’il les méconnaît (nouvelles formes et/ou nouveaux supports de créations artistiques). Soit en raison de leur destination et/ou de leur caractère utilitaire, notamment les œuvres originales d’arts appliquées (prototypes, dessins, maquettes, créations graphiques, croquis, pourtant tous originaux au sens du CPI...).

Il y a presque 40 ans, la lettre ministérielle du 7 avril 1981 relative aux critères d’affiliation au régime de sécurité sociale des artistes-auteurs d’œuvres graphiques et plastiques (en annexe de la circulaire de 2011 cf pdf en fin d’article) tentait déjà de remédier (mais en partie seulement) à l’inadéquation de la référence au 98A du CGI dans le CSS en introduisant non limitativement les œuvres des artistes ayant des « activités non traditionnelles » (installations, performances, art vidéo, etc.).

En 2015, la Cour d’Appel de Paris — infirmant le jugement rendu le 28 juin 2011 par le tribunal des Affaires Sociales — a jugé [note n°1] : « que le reflet de la personnalité artistique du créateur constitue le critère essentiel », « que les artistes-auteurs se distinguent des artisans d’art par l’originalité et la valeur artistique de leur création et non par l’aspect utilitaire ou non de leur production », « que l’aspect pratique ou décoratif de certaines créations ne fait pas disparaître leur originalité artistique » et « que la protection artistique s’étend à l’ensemble des œuvres quels (sic) qu’en soient la forme d’expression ou la destination »... La MDA-sécurité sociale et la CPAM qui avaient méconnu ces arguments ont été condamnées.

En fait, on sait depuis des décennies que la référence à l’article 98A dans le CSS est à la fois, inapproprié par son objet, obsolète dans sa rédaction et discriminatoire dans le régime social. N’est-il pas enfin temps d’en tirer les conséquences ?

Le champ d’application du droit de suite est lui-même moins restrictif (et moins suranné) que le champ d’application de la TVA réduite à 5,5% (cf l’article R122-3 du CPI). Veut-on vraiment exclure du régime social des artistes-auteurs une partie des redevances de ce droit d’auteur ? Pourquoi et où seraient-elles cotisées ?

D’un point de vue fiscal, l’article 98A engendre une insécurité juridique relative au taux de TVA applicable. Cette insécurité est régulièrement dénoncée par l’ensemble des acteurs du milieu de l’art. En effet, nombre d’œuvres d’art contemporaines ne sont pas visées par cet article.

Il convient urgemment de cesser d’importer cette insécurité juridique d’un point de vue social : toute œuvre originale au sens du CPI — quels qu’en soient le caractère utilitaire ou la destination, qu’elle bénéficie ou non d’une TVA à 5,5% — devrait être cotisée socialement dans le régime des artistes-auteurs.

Concrètement on ne comprend pas très bien quelle est la réticence des ministères de tutelles à supprimer cette référence au 98A du CGI. Quelle est la crainte ? La vente de n’importe quel objet par les artistes-auteurs ? Non seulement le risque est plus qu’improbable (qui achèterait un objet quelconque au prix d’une œuvre originale ?) mais dès lors que ces ventes relèveraient d’une activité commerciale, elles seraient obligatoirement déclarables en BIC et non en BNC. Ainsi un « garde-fou » opérationnel existe déjà fiscalement. Les BIC ne relèvent jamais socialement du régime des artistes-auteurs. En amont du régime social, les ventes déclarables fiscalement en BNC par les artistes-auteurs sont déjà cadrées par le code général des impôts (en dehors de l’article 98A).

circulaire-revenus-artistiques-2011