Le Futuroscope : contrats abusifs et menace de destruction d’œuvre

Pour élargir la palette des prestations culturelles offertes à son public, le Futuroscope demande à des plasticiens d’intervenir dans son enceinte par un travail d’installation in situ.

Récemment, des plasticiens concernés par ce projet ont reçu un contrat à signer, après leur travail accompli sur place, qui exigeait en contrepartie d’un paiement de 2500 euros :

  • une présentation de l’œuvre au public pendant une durée de deux ans,
  • la cession de l’œuvre au Futuroscope,
  • l’abandon de la totalité des droits d’auteur.

Initialement sélectionnés sur le principe d’une résidence, on comprend que des plasticiens aient refusé de signer un tel document perçu comme indécent et insultant.

La réalisation de certaines installations avait d’ailleurs exigé plusieurs semaines de présence et leur valeur était estimée à 30000 euros ; ce qui témoigne du gouffre qui sépare les conceptions des commanditaires de la réalité du monde du travail artistique.

Face à ce refus, et rejetant toute possibilité de négociation, l’administration du Futuroscope a engagé deux procédures :

  • des envois de courriers recommandés avec accusé de réception menaçant ceux qui refusaient de signer le contrat d’une destruction immédiate de leurs œuvres,
  • la mobilisation des plasticiens qui avaient accepté le contrat en question pour exercer des pressions sur les récalcitrants.

Le modèle économique exprimé

Par son fonctionnement, le Futuroscope mobilise sans scrupule un modèle économique implicite dans les conceptions des responsables culturels et des administrations qui les cadrent. Un modèle suffisamment légitimé pour qu’il suscite peu de réactions indignées, alors qu’il apparaîtrait immédiatement scandaleux et insupportable s’il était appliqué à ces mêmes responsables ou fonctionnaires.

Ce modèle s’organise sur la pensée que :

  • le travail des plasticiens n’entre pas dans le champ des activités professionnelles ;
  • leurs réalisations n’entrent pas dans la catégorie des productions de biens ou de services ;
  • plus généralement, l’existence et la fonction des plasticiens sont en marge de la sphère économique et ne mobilisent pas de flux financier particulier ;
    les récalcitrants sont ignorés et menacés au besoin.

Il ne s’agit rien moins que de chercher à maintenir l’aliénation d’une certaine catégorie d’acteurs sociaux afin d’en exploiter sans réserve la production.

Ce cas est extrême mais le modèle est pour partie intégré par les plasticiens eux-mêmes. La rétribution se résumant alors à l’acquisition de points symboliques accumulables sur des curriculums vitæ dont on espère tirer quelque valeur marchande. Un espoir sans cesse déçu puisque la dépréciation de l’activité professionnelle s’appuie sur une règle généralisée et relayée par une bonne part du système culturel.


Régulation de l’Etat et limites de la pensée exprimable sur le sujet

Chacun pourrait penser que ce modèle économique larvé, qui exploite sans état d’âme une main d’œuvre culturelle bon marché et peu réactive collectivement, fasse l’objet d’une tentative de régulation par l’État, principalement dans les structures qu’il contribue à financer. En particulier sous la pression des organisations professionnelles qui dénoncent une situation d’exploitation digne du XIXe siècle.

Pourtant, si cette analyse relative à la précarité des plasticiens est sans doute l’une des mieux partagées dans le milieu insitutionnel, elle est non pertinente et restera non pertinente dans la culture dominante. Car dénoncer ce modèle ébranle des institutions idéologiques efficaces et utiles (centres d’art, FRAC, musées et collections diverses) qui, à des degrés divers, en font usage.

On n’imagine mal, en effet, ces institutions mettre en œuvre une analyse qui les dessert, alors que le principal de leur activité consiste à conforter leur position vis-à-vis de leurs financeurs ou de leurs tutelles.

De sorte que les limites de la pensée exprimable sur le sujet restent fixées sur des notions économiques vagues et sans conséquence, comme celles d’indemnité ou de défraiement. La possibilité d’instaurer une ligne budgétaire dédiée à la rémunération professionnelle, en tant que telle, qui prenne en compte le droit de présentation et les droits d’auteurs, est simplement éliminée ; entraînant les conséquences que l’on sait : précarisation, instrumentalisation et travail non déclaré.


Une soumission honnête

D’un côté, et dans leur ensemble, ces institutions culturelles adorent être mises en cause par la droite : elles boivent du petit lait quand on leur reproche d’être subversives, d’aller si loin dans leur passion de saper le bon goût qu’elles en détruiraient l’ordre moral voire la démocratie. La raison pour laquelle elles affectionnent tant ces attaques, c’est qu’elles peuvent alors répondre, oui, nous allons parfois trop loin dans notre soutien à la création, mais c’est le prix à payer pour une société libre ! Cela fait de très bons discours et d’excellentes copies dans la presse.

Mais si elles sont critiquées par l’autre bord, qui dit : « vous êtes utiles et efficaces, mais vous êtes soumises à un ordre économique et à un ordre culturel, par l’exploitation que vous faites du travail des plasticiens et par le point de vue que vous affichez au sujet des droits des auteurs », ça, elles détestent. Elles n’aiment pas qu’on s’éloigne des seules choses de l’esprit pour rappeler qu’une activité sociale dans le champ culturel, quelle qu’elle soit, mobilise des professions complémentaires et que la seule qui soit exploitée de façon éhontée est celle des plasticiens. Nous intervenons dans ce sens depuis des lustres sans jamais entendre aucun discours à ce sujet ni voir aucun papier diffusé par une presse pourtant parfaitement informée.

Chacun se souvient, d’ailleurs, des ricanements de responsables culturels, pourtant marqués à gauche, lorsque nous avons commencé à poser le problème du droit de présentation dans les centres d’art et pour toute exposition hors lieu commercial.

Les institutions culturelles ne veulent pas savoir, ni entendre, qu’elles font un travail honnête, mais soumises à un ordre économique et culturel, parfois jusqu’à la servilité. Elles aimeraient mieux qu’on leur dise « bravo, continuez à soutenir les artistes rebelles et à démocratiser la culture ».

Pourtant, la validité d’un projet culturel quel qu’il soit, passe par le respect économique de tous les acteurs sociaux qu’elle mobilise.


L’instrumentalisation des plasticiens dans l’espace public

Le Futuroscope est une entreprise culturelle qui brutalise ouvertement les artistes. Mais la majorité des structures ou des services culturels engagés dans une logique de service public s’appuient sur un même modèle en usant de méthodes feutrées tout aussi efficaces.

Un modèle qui nie le renouvellement des pratiques opérées depuis les années 50/60 pour s’auto-justifier : le plasticien est toujours pensé tel un peintre ou un sculpteur qui fabrique des objets et en fait la promotion par des expositions ; s’il expose ses travaux c’est pour les vendre à terme ; s’il n’y arrive pas c’est son problème, semblent penser curators et autres médiateurs.
Si l’artiste se démarque d’une démarche de production d’objets, tout est fait pour l’y ramener en suggérant la réalisation de produits dérivés, et cela de façon à maintenir coûte que coûte un système économique reposant sur la commercialisation d’objets (pour un marché d’ailleurs quasi inexistant).

Pourtant, dans la réalité observable, les propositions contemporaines concernent peu la production d’objets et beaucoup l’intervention in situ, c’est-à-dire qu’elles sont faites pour le lieu et pour le temps de la manifestation. L’exposition artistique contemporaine relève alors non d’une activité de promotion commerciale, en tous cas pas plus qu’un concert ou une activité théâtrale ; elle relève d’une activité d’intervention culturelle, dont on se sert comme d’une production de services, puisque chaque manifestation publique fait l’objet d’usages symboliques divers : opération d’animation dans un quartier, opération de communication par une ville ou un mécène, opération de médiation à destination des publics d’un centre d’art, ou encore opération politique visant l’affichage d’un positionnement culturel par un département ou une région.

L’instrumentalisation économique des plasticiens dans l’espace public est alors ciblée et flagrante s’ils ne reçoivent aucun droit de présentation ni aucun droit d’auteur ; puisque les artistes musiciens, comédiens ou encore danseurs, invités dans ces mêmes manifestations, ont nécessairement contractualisé financièrement leur présence sans que cela ne choque personne.


Pour finir, le comportement du Futuroscope est scandaleux. Mais il ne fait que caricaturer une inégalité de traitement généralisée qui exclut volontairement les artistes plasticiens de l’espace d’échange économique, afin de monter des événements à peu de frais. Tout en préservant un marché en direction de quelques artistes intégrés dans un réseau protégé.

On remarquera enfin que, depuis 2006, la Fédération des Réseaux et Associations d’artistes Plasticiens s’est engagée, par le biais d’une charte déontologique, à respecter le Code de la Propriété Intellectuelle en se dotant dans la mesure du possible d’une politique de versement de droits (droit d’exposition, droit de reproduction, etc.).

La FRAAP représentant le diffuseur le plus important sur le territoire français, c’est donc le secteur des associations et des collectifs engagés sur le terrain, pris en main par les artistes eux-mêmes, qui s’efforce de faire avancer au mieux l’application de la loi relative aux droits des auteurs.

Le CAAP

Notes :

  • Le CAAP dispose de l’ensemble des documents relatifs à l’affaire du Futuroscope (contrats, courriers, mails) citée dans cet article, et pour laquelle Maître Agnès TRICOIRE, avocate à la cour, est intervenue à notre demande.
  • La charte déontologique de la FRAAP est disponible à cette adresse : http://www.fraap.org/article245.html
  • Des institutions locales ont commencé à prendre en compte l’application du droit de présentation. Nous y reviendrons.