COVID-19 ET ARTISTES-AUTEURS 3 :
À QUAND UNE ADAPTATION DU FONDS DE SOLIDARITÉ POUR LE SECTEUR DE LA CRÉATION ?
À QUAND UN NOUVEAU PLAN SPÉCIFIQUE QUI SOUTIENNE VRAIMENT LES ARTISTES-AUTEURS ?

À ce jour, le fonds de solidarité reste une « loterie » pour les artistes-auteurs. Deux préconisations simples du CAAP permettraient à des artistes-auteurs artificiellement exclus du dispositif de pouvoir en bénéficier. Parallèlement, l’incohérence des guichets dits « sectoriels » est source d’iniquité et d’insécurité juridique.

1/ Le fonds de solidarité n’est toujours pas accessible à un nombre important d’artistes-auteurs

Début mai 2020, un mois et demi après le début du confinement, le fonds de solidarité reste techniquement inaccessible aux artistes-auteurs qui déclarent exclusivement aux impôts des droits d’auteur versés par des éditeurs, par des producteurs (audiovisuels ou de phonogrammes) ou par des organismes de gestion collective (OGC).
En effet, ces derniers peuvent exercer sans numéro de SIRET, or le formulaire de demande de subvention de la DGFIP impose de mentionner un numéro de SIRET… Ce problème devrait être résolu dans les 15 prochains jours.

En conséquence, la date limite fixée au 30 avril 2020 pour demander l’aide de mars 2020 est repoussée pour les artistes-auteurs (en TS ou en BNC). Un premier délai avait déjà été accordé (15 mai), il s’avère insuffisant et sera à nouveau officiellement repoussé.

2/ Le fonds de solidarité reste une « loterie » pour les artistes-auteurs

Le ministre de la Culture, Franck Riester, a réuni le 30 avril 2020 par visioconférence les « acteurs essentiels des arts visuels ». Dans son intervention (voir pdf en fin d’article), le CAAP a abordé synthétiquement l’ensemble des problèmes que pose le « premier plan d’urgence en faveur des artistes-auteurs ». Le CAAP a, entre autres, pointé le fait que le fonds de solidarité restait une « loterie » pour les artistes-auteurs en raison notamment de sa référence de calcul à un chiffre d’affaires mensuel en 2020 alors que les encaissements des artistes-auteurs sont généralement le fruit du paiement d’un travail créatif largement antérieur.

Le ministre a proposé de lui faire parvenir une note explicative à ce sujet et a indiqué être en relation constante avec la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) pour améliorer le dispositif. Le CAAP a donc fait parvenir au ministre la note technique précisée ci-dessous.

3/ La note explicative du CAAP et ses deux préconisations relatives au fonds de solidarité

Laisser au professionnel le choix du mode de calcul comptable de ses chiffres d’affaires dès lors que ce mode calcul est cohérent entre 2019 et 2020.

En comptabilité, il existe deux méthodes d’enregistrement dans les comptes : la comptabilité de trésorerie (qui enregistre les paiements et les encaissements) et la comptabilité d’engagement (qui enregistre les dettes et les créances). Dans le premier cas, ce sont les dates des mouvements de trésorerie (l’argent qui entre ou qui sort) qui sont prises en compte pour enregistrer l’écriture, dans le second cas ce sont les dates des factures émises ou reçues.

Le fonds de solidarité (FDS) pénalise les travailleurs non-salariés (TNS) qui tiennent une comptabilité de trésorerie. C’est le cas des artistes-auteurs.
Le fonds de solidarité pénalise les TNS qui subissent des retards de paiement.
C’est le cas des artistes-auteurs.

Les rémunérations (droits d’auteur, ventes d’œuvres, etc.) des artistes-auteurs (AA) entrent fiscalement dans la catégorie des produits des bénéfices non commerciaux quel que soit leur mode de déclaration fiscale (TS ou BNC). La comptabilité tenue est a priori une « comptabilité de trésorerie ».

Exemple 1 : un TNS en BNC a uniquement perçu en avril 2020 le paiement d’une facture de janvier 2020 d’un montant de 2 000 €. Il comptabilise cette facture en avril 2020. Son CA d’avril 2020 est de 2 000 €. En 2019, son CA de référence est 1 500 € mensuel, ce TNS ne perçoit rien du FDS.
Un TNS en BIC a uniquement perçu en avril 2020 le paiement d’une facture de janvier 2020 d’un montant de 2 000 €. Il comptabilise cette facture en janvier 2020. Son CA d’avril 2020 est nul. En 2019, son CA de référence est 1 500 € mensuel, ce TNS perçoit 1 500 € du FDS.

Exemple 2 : un diffuseur (galeriste, éditeur, producteur, agence de presse, etc.) doit 2 000 € à un AA pour une création ou une prestation antérieure à la période de confinement. Il verse cette somme à l’AA en avril 2020. En 2019, son CA de référence est de 1 500 € mensuel, cet AA ne perçoit rien du FDS. Si cet AA avait eu affaire à un diffuseur qui lui avait versé la somme due avant la période de confinement, il percevrait 1 500 € du FDS avec un CA d’avril nul. Dans le premier cas, c’est une double peine pour l’AA : paiement à retardement + non accès au FDS.

Pour remédier à cette injustice, il conviendrait que soit assouplie l’appréciation du CA et qu’il soit précisé dans la FAQ que pour le comparatif des CA entre 2019 et 2020, le calcul des CA peut être effectué au choix selon les principes d’une comptabilité de trésorerie ou d’une comptabilité d’engagement, et ce, quel que soit le mode de déclaration fiscal (BIC ou BNC).

Actuellement, à la question « comment s’apprécie le chiffre d’affaires ? » la FAQ de la DGFIP répond : « Le chiffre d’affaires est calculé en fonction des règles de comptabilité applicables aux entreprises. Pour les entreprises tenant une comptabilité commerciale, il s’agit du chiffre d’affaires facturé et comptabilisé au mois de mars selon le principe des créances acquises et des dépenses engagées. Pour les professionnels assujettis à la fiscalité sur les bénéfices non commerciaux et qui n’ont pas opté pour tenir une comptabilité en fonction des créances acquises et dépenses engagées, il s’agit des recettes encaissées diminuées des débours et des rétrocessions d’honoraires effectués en mars. Pour les micro-entrepreneurs, il s’agit des recettes perçues en mars au titre de leur activité professionnelle. »

Par cette réponse, la DGFIP rappelle les définitions de base d’un chiffre d’affaires. Elle n’a certainement pas voulu favoriser les BIC au détriment des BNC, mais plutôt veiller à une cohérence des calculs et des montants entre 2019 et 2020. Cette cohérence doit naturellement être effective (on ne peut « additionner des choux et de carottes »). En revanche, il n’est pas équitable que le mode de déclaration fiscale habituel du professionnel puisse pénaliser ce dernier pour le calcul de la subvention exceptionnelle du FDS, seule la cohérence du calcul entre 2019 et 2020 est indispensable.

NB : les dispositifs mis en place par la SGDL, la SACD et la SCAM — qui sont similaires au dispositif du fonds de solidarité et qui s’y substituent — ne respectent pas cette nécessaire cohérence des calculs et des montants entre 2019 et 2020. Outre la rupture d’égalité entre artistes-auteurs (ces dispositifs sont également incohérents entre eux), il en résulte une évidente insécurité juridique.
En réalité, cette défaillance problématique n’est pas surprenante. Ces sociétés n’ont ni le même rôle, ni le même champ d’action, ni le même domaine de compétence qu’un syndicat professionnel. En effet, les OGC, compétents en matière de perception et de répartition de droits d’auteur, n’ont bien sûr aucune raison d’avoir l’expertise nécessaire concernant les conditions d’exercice professionnel des AA (gestion de projets, comptabilité, fiscalité, régime social, etc.), contrairement aux syndicats des AA. Or, jusqu’ici, hélas, ces derniers n’ont pas été consultés sur les dispositifs dits « sectoriels » mis en place. D’où notre demande d’une rencontre avec le secteur de la création, lui-même, donc l’ensemble des syndicats professionnels des AA.

Ouvrir le second volet du fonds de solidarité aux professionnels n’ayant pas « au moins 1 salarié » mais risquant la faillite en raison du montant de leurs charges fixes.

Actuellement, à la question « Pourquoi le second volet du fonds est-il limité aux entreprises qui comptent au moins 1 salarié ? » la FAQ de la DGFIP répond :
« Le second volet du fonds, instruit sur dossier par les régions, est un dispositif "anti-faillite" pour les très petites entreprises qui, malgré les différentes mesures déployées par le Gouvernement, seraient encore en risque de défaillance en raison principalement de leurs frais fixes. »

Les artistes-auteurs employant des salariés sont extrêmement rares, en revanche, ils peuvent avoir des frais fixes largement supérieurs au plafond de 1 500 € du premier volet (notamment les frais fixes relatifs à leur local professionnel), or ils sont exclus de ce dispositif « anti-faillite ». Il apparaît donc indispensable de supprimer la condition d’1 salarié pour accéder au second volet du fonds de solidarité.

4/ Le CAAP a demandé au ministre de réunir le secteur de la création, constitué de l’ensemble des créateurs et des créatrices

Le CAAP a mis en évidence le hiatus entre les budgets alloués par le ministère aux guichets dits « sectoriels » et le nombre d’artistes-auteurs vivants concernés par ces guichets.
En réponse, le ministre s’est engagé à abonder autant que de besoin les divers fonds d’urgence « sectoriels » (CNAP, CNL-SGDL, CNC-SACD-SCAM, CNM-SACEM) ainsi que le budget de la commission de « secours exceptionnel » du CNAP.

Alors que le ministre a souhaité réunir les « acteurs essentiels » par « silos » de diffusion et de répertoire d’œuvres (« musique », « arts visuels », « cinéma et audiovisuel », « spectacle vivant », « édition »…), le CAAP a pointé la nécessité de réunir l’ensemble des syndicats des artistes-auteurs avant d’envisager le deuxième plan en faveur des artistes-auteurs.

Faute de guichet unique, une harmonisation et une actualisation des aides complémentaires octroyées par les divers guichets s’avèrent aujourd’hui indispensables à la fois pour mettre fin aux ruptures d’égalité et pour prendre effectivement en compte les besoins complémentaires désormais bien identifiés des artistes-auteurs.

Tous les artistes-auteurs attendent de pouvoir bénéficier :

  • d’une compensation des défauts de rémunérations prévues relatifs aux projets annulés, du fait de la défaillance du diffuseur (peu importe celui-ci) ;
  • d’une aide au maintien de l’activité économique, compensation des pertes de gains et d’espérances de gains (quels que soient les circuits de ventes ou de diffusion des œuvres) ;
  • d’une action sociale pour les professionnels les plus en difficulté (quel que soit leur répertoire d’œuvres).

À l’instar des autres secteurs professionnels, des mesures réellement « complémentaires et subsidiaires » au fonds de solidarité (donc cumulables) sont aujourd’hui indispensables pour soutenir les premiers acteurs de la culture dans cette crise économico-sanitaire dont les effets vont se prolonger longtemps pour eux.

Document à télécharger

Intervention_CAAP_30_avrill_2020