LA RECOMPOSITION TARDIVE ET SANS ÉLECTION DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES-AUTEURS

Après avoir été illégalement évincés de la gestion de leur régime de sécurité sociale pendant 9 ans, les artistes-auteurs et autrices (AA) ont été privés par les ministères du droit d’élire leurs représentants. Les administrateurs sont désormais désignés arbitrairement par arrêté ministériel.

1/ Les AA illégalement évincés de la gestion de leur régime de sécurité sociale pendant 9 ans

En avril 2014, les conseils d’administration des organismes agréés du régime de sécurité sociale des AA (MDA et AGESSA) ont été suspendus en raison d’une incurie des ministères de la Santé et de la Culture.

Conformément au code de la sécurité sociale, des élections auraient dû être organisées en 2014 pour renouveler les conseils d’administration. En effet, les administrateurs élus en 2008 étaient en fin de mandat au bout de six ans, date à date.

Mais, les ministères de tutelles avaient demandé à retardement la prorogation des mandats des administrateurs.

En juin 2014, un projet de décret en Conseil d’État du ministère de la Santé visant à proroger le mandat des administrateurs élus par leurs pairs avait été déposé postérieurement à la date d’échéance des mandats des conseils d’administration fixée au 24 avril 2014. Ce projet a donc fait l’objet d’un refus sans appel du Conseil d’État : un mandat ne pouvant être prorogé dès lors qu’il est déjà échu. Cette erreur manifeste des tutelles a immédiatement engendré une carence de gouvernance, imprévue par les textes légaux et réglementaires.

Pour 2015, le ministère de la Santé avait nommé un administrateur provisoire le 24 décembre 2014. Sa mission se terminait au plus tard le 1er janvier 2016 l’investissant de « l’ensemble des pouvoirs dévolus » aux conseils d’administration et lui donnant notamment pour mission « de prendre les décisions budgétaires modificatives nécessaires à la tenue de nouvelles élections des conseils d’administration en 2015 et d’organiser, en lien avec la DSS, ces futures élections  ». Sa lettre de mission précisait : « vous proposerez dans les deux mois qui suivent votre nomination un plan d’action présentant les différents aspects à prendre en compte (budgétaire, juridique, organisationnels…) ».

Aucune élection des Conseils d’administration n’a été organisée, ni en 2015, ni les années suivantes.

En 2016, Bernard Billon, l’administrateur « provisoire » est à nouveau nommé par arrêté du 16 mars 2016. Ce nouvel arrêté précise : « Le mandat d’administrateur provisoire prend fin au plus tard le 1er janvier 2017. Il pourra être mis fin à ce mandat lors de l’installation des conseils d’administration pour les deux associations concernées  »…

En 2017, Bernard Billon refuse d’être encore renommé administrateur « provisoire ». Le « poste » reste vacant.

Fin 2017, le gouvernement a notamment fait voter par le parlement une modification de l’article L382-2 du Code la sécurité sociale : l’adjectif « élus » qui se rapportait à « représentants » des artistes-auteurs est supprimé. Cette modification applicable au 1er janvier 2019 implique l’adoption d’un décret en Conseil d’État qui précise notamment « les conditions de désignation des représentants des artistes-auteurs et des diffuseurs ainsi que les conditions de nomination du directeur et du directeur comptable et financier de ces organismes ». Sans concertation préalable des premiers concernés, les élections des AA sont ainsi unilatéralement rayées dans la loi.

En 2018, le ministère de la Santé nomme une nouvelle administratrice « provisoire » par un arrêté du 29 mars 2018. Cette fois aucune date de fin de mission n’est mentionnée… Elle dispose sine die de l’ensemble des pouvoirs légalement dévolus aux conseils d’administration normalement constitués en majorité des représentants des artistes-auteurs et autrices…

De 2014 à 2022 inclus, le ministère de la Santé a désigné un administrateur dit « provisoire » en lui attribuant l’ensemble des pouvoirs qui étaient dévolus aux conseils d’administration élus des artistes-auteurs.
Cette éternelle reconduction était dénuée de tout fondement légal. Elle relevait d’un excès de pouvoir qui a duré 9 ans. En effet, l’article R382-14 du Code de la sécurité sociale invoqué par le gouvernement n’est en réalité applicable qu’en cas « d’irrégularité grave, de mauvaise gestion ou de carence du conseil d’administration  » et non, en cas d’incurie de l’État lui-même. Les ministères de tutelle en charge du contrôle de légalité ont eux-mêmes créé une vacance de gouvernance en 2014 et n’ont jamais remédié à cette situation illicite jusqu’à l’arrêté du 7 décembre 2022 fixant la composition du conseil d’administration de la Sécurité sociale des artistes-auteurs.

2/ Désignation des administrateurs par arrêté ministériel versus élections des artistes-auteurs

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 en supprimant le mot « élus » après le mot « représentants » dans l’article L. 382-2 du code de la sécurité sociale a rendu légalement facultative l’organisation d’élections, un décret en Conseil d’État devant préciser les conditions de désignation des administrateurs.

À ce stade, il était encore possible de décréter une désignation par voie élective et que les artistes-auteurs élisent eux-mêmes leurs représentants. Mais les ministères n’ont cessé d’agir dans le sens de la suppression de tout processus démocratique.

En décembre 2018, le décret en Conseil d’État N° 2018-1185 du ministère des Solidarités et de la santé supprime l’ensemble des articles relatifs à l’élection des administrateurs des organismes agréés. L’article R382-8 dispose désormais qu’un « arrêté conjoint du ministre chargé de la Culture et du ministre chargé de la Sécurité sociale désigne, pour une durée de six ans, les organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs et les personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 382-4 qui sont appelées à siéger à ce ou ces conseils d’administration ainsi que la répartition des sièges, en tenant compte des critères mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 6° et 7° de l’article L. 2121-1 du Code du travail ».

Les critères de la représentativité mentionnés à l’article L. 2121-1 du code du travail ont été mis en place en 2008 pour la représentativité syndicale des salariés. Or, pour les artistes-auteurs, cette référence au code du travail est incomplète, puisque l’article R. 382-8 du code de la sécurité ne vise pas le cinquième critère : l’audience électorale qui est le critère essentiel de mesure de la représentativité.

Pour mémoire, la quasi-totalité des syndicats d’AA a toujours été favorable à l’organisation d’élections pour la désignation des administrateurs de leur régime de sécurité sociale, donc était favorable au rétablissement du mode électif dont l’obligation a été arbitrairement supprimée dans la loi et demandait la création d’un comité de pilotage.

Face à cette demande récurrente d’élections, le ministère de la Culture avait argué de la nécessité de disposer d’un délai pour organiser des élections et à cet effet avait introduit un conseil d’administration provisoire avec un mandat dérogatoire de 2 ans dans l’article R382-8 du code de la sécurité sociale : « Conformément au III de l’article 5 du décret n° 2020-1095 du 28 août 2020, par dérogation aux dispositions de l’article R. 382-8 du code de sécurité sociale, la durée du mandat des membres du conseil d’administration mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du même article désignés à compter de la publication du présent décret et avant le 31 décembre 2021 est de deux ans  ».

Mais ce n’était qu’un leurre, les ministères ont laissé passer la date butoir du 31 décembre 2021 sans désigner de conseil d’administration provisoire, ni prévoir d’élections.
En conséquence, les administrateurs sont désormais désignés par arrêté ministériel avec un mandat de six ans. Les artistes-auteurs et autrices ont ainsi été privés par les ministères du droit d’élire leurs représentants
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3/ Le leurre d’une pseudo « enquête de représentativité » en l’absence d’élections

Après avoir sans cesse repoussé l’organisation des élections au conseil d’administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs, les ministères se sont donc donné les pleins pouvoirs pour désigner quelles « organisations professionnelles et syndicales » siègeraient dans ce conseil.

En l’absence du seul critère objectif et incontestable de la représentativité (l’audience électorale), l’appréciation du degré de représentativité d’un syndicat d’artistes-auteurs par les ministères est nécessairement subjective.

Soucieux de masquer le caractère purement arbitraire de ses désignations, le ministère de la Culture, passé maître dans l’art de faire prendre des vessies pour des lanternes, a annoncé en 2021 qu’il allait procéder à « la réalisation d’une enquête de représentativité sur le modèle de celle prévue lors de la création du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CSPTI » et qu’il lancerait un « appel à manifestation d’intérêt » (AMI) « en vue de la désignation des seize membres représentant les artistes-auteurs au sein du conseil d’administration de l’organisme agréé prévu à l’article R. 382-2 du code de la sécurité sociale ».

  • Un « modèle » inapproprié et mystificateur

L’enquête de représentativité des travailleurs indépendants, fondée sur les critères de représentativité des employeurs, ne peut en aucun cas servir de « modèle » pour la représentativité des artistes-auteurs qui sont rattachés au régime général des salariés, contrairement aux travailleurs indépendants. Très logiquement, l’article R.382-8 renvoie expressément à l’article L.2121-1 du code du travail donc aux critères de représentativité des syndicats professionnels de travailleurs et non à ceux de la représentativité patronale prévue à l’article L.2151-1 et suivants du code du travail.
Le processus informel imposé par le ministère de la Culture est totalement différent de la procédure appliquée aux travailleurs indépendants par décret et par arrêté sous l’égide du ministère du Travail, avec un dépôt des candidatures sur le site www.representativite-patronale.travail.gouv.fr.
En réalité, aucun « modèle » ne légitime le processus informel initié par le ministère de la Culture.

  • Des modalités informelles et opaques

Aucune définition légale ne vient encadrer le processus initié par le ministère.
Ce processus, comme les appels à manifestation d’intérêt, n’est défini par aucun texte opposable, c’est une procédure informelle sans voie de recours. Bien qu’opposés à ce processus, les syndicats d’AA n’avaient aucune possibilité de s’y opposer légalement. Ils étaient tenus de s’y soumettre ou de se démettre.

Un « avis » discret et pressant adressé à des destinataires cachés.
Dans le bulletin de juillet-août 2021 du ministère de la Culture de 304 pages, bien malin qui aurait pu découvrir incidemment à la page 292 et 293 la publication d’un avis
(« avis du 31 août 2021 relatif au calendrier et aux modalités de dépôt des dossiers de candidature des organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs en vue de leur désignation au sein du conseil d’administration de l’organisme agréé prévu à l’article R. 382-2 du Code de la sécurité sociale »).

Le 17 septembre 2021, le ministère de la Culture communique cet AVIS (voir pdf ci-dessous) à des destinataires cachés qu’il a choisis. Le mail est intitulé « Publication de l’avis relatif aux candidatures - Conseil d’administration du futur organisme de gestion de la sécurité sociale des artistes-auteurs ». Le ministère de la Culture précise : « Les organisations candidates doivent faire parvenir, au plus tard le 31 octobre 2021, tous les éléments de nature à justifier leur désignation, et particulièrement tout document permettant l’appréciation des critères énumérés à l’article R. 382-8 du code de la sécurité sociale. »

Cet « appel à manifestation d’intérêt » s’est avéré être un appel à dossiers de candidatures.
Il ne s’agissait pas de simplement « manifester son intérêt » c’est-à-dire d’exprimer son souhait de siéger dans le conseil d’administration. L’avis publié imposait aux « organisations professionnelles et syndicales » de déposer un dossier de candidature conséquent au plus tard le mois suivant la publication de l’appel et adressé à un service particulier du ministère de la Culture : la Délégation aux politiques professionnelles et sociales des auteurs et aux politiques de l’emploi (Délégation PPSAPE [1]).

Un processus parfaitement opaque
Le ministère de la Culture n’a jamais communiqué :

  • L’avis d’appel dans une publication consultée par les représentants des AA
  • La liste des candidats contactés par la Délégation PPSAPE
  • Les critères de recevabilité des candidatures
  • Les critères de sélection des candidatures
  • La liste des « organisations professionnelles et syndicales » ayant effectivement déposé une candidature
  • Des éléments signifiants des dossiers de candidature
  • La liste des candidats refusés et celle des candidats acceptés
  • Les motivations de refus…