Le 18 juin 2019, le ministre de la Culture Franck Riester a installé le Conseil national des professions des arts visuels (CNPAV) attendu depuis plusieurs années par les acteurs du secteur des arts visuels.
1/ QU’EST-CE QUE LE CNPAV ?
Créé par décret pour une durée de cinq ans, le Conseil national des professions des arts visuels est une instance placée auprès du ministre chargé de la Culture, que le Gouvernement est susceptible de consulter sur toute question intéressant le secteur des arts visuels ainsi que les professionnels de ce secteur.
Son rôle
Le Conseil national des professions des arts visuels peut être consulté par le Gouvernement et émettre des avis et préconisations sur toute question intéressant le secteur et les professions des arts visuels.
Les avis et préconisations du Conseil peuvent émaner de tout ou partie des organisations syndicales et professionnelles représentées en son sein.
Le Conseil peut proposer au ministre chargé de la Culture toute étude qu’il juge nécessaire dans son domaine de compétence.
Son fonctionnement
Le Conseil est présidé par le ministre chargé de la Culture ou son représentant.
Il se réunit au moins une fois par an.
La coordination des travaux du Conseil est assurée par un bureau, présidé par le Directeur général de la création artistique ou son représentant.
Le bureau se réunit tous les deux mois.
Le Conseil peut constituer en son sein, selon les modalités précisées dans son règlement intérieur et pour une durée déterminée, des groupes de travail chargés de traiter de sujets particuliers.
Les travaux des groupes de travail sont transmis aux membres du Conseil.
Textes de référence
- Le décret du 3 décembre 2018 relatif à la création du Conseil national des professions des arts visuels est paru au journal officiel le 5 décembre 2018
- L’arrêté du 5 février 2019 portant désignation des membres du Conseil national des professions des arts visuels est paru au journal officiel le 14 février 2019.
- L’arrêté du 21 mars 2019 portant nomination des membres du bureau du CNPAV est paru au journal officiel le 3 avril 2019.
2/ LE RAPPORT DU GOUVERNEMENT AU PARLEMENT SUR LA SITUATION DES ARTS VISUELS
En application de l’article 45 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, un rapport sur la situation des arts visuels a été établi par le ministère de la Culture (Direction Générale de la Création Artistique) et rendu en octobre 2017. À l’occasion de l’installation du CNPAV ce rapport a été communiqué en amont de la première séance à l’ensemble des membres du Conseil. Ce rapport est disponible en fin d’article.
3/ LA PREMIÈRE SÉANCE DU CNPAV
Ordre du jour de la séance du 18 juin 2019 :
1- Installation du Conseil national des professions des arts visuels par le Ministre.
2 - Présentation de la mission de réflexion prospective sur l’auteur et l’acte de création par Bruno Racine, conseiller maître à la Cour des comptes.
3 - Actions du ministère de la Culture en faveur d’une plus grande égalité et parité dans le secteur de la création par Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité, à la diversité et à la prévention des discriminations au ministère de la Culture.
4 - Échanges avec les membres du Conseil.
5 - Adoption du règlement intérieur du Conseil.
6 - Questions diverses.
Le discours prononcé par le Ministre à cette occasion figure en fin d’article.
Le règlement adopté se trouve en fin d’article.
La question des moyens de fonctionnement du CNPAV a été abordée en fin de séance alors présidée par Sylviane Tarsot-Gillery, Directrice générale de la création artistique, notamment le remboursement des frais de déplacement des membres du Conseil et le versement d’une indemnité pour perte de gain aux artistes-auteurs qui siègeront dans les instances du CNPAV.
Il a été répondu qu’une réglementation était applicable aux remboursements de frais, mais qu’à ce jour il n’y avait pas de base règlementaire pour verser une indemnité qui tienne compte de la réduction d’activité professionnelle des artistes-auteurs du fait de l’exercice de leur fonction au sein du CNPAV.
Afin de permettre le bon fonctionnement du CNPAV sans pénaliser les représentants des artistes-auteurs, le Conseil a convenu que cette lacune règlementaire devait être comblée de façon prioritaire.
4/ LA CONTRIBUTION INAUGURALE DU CAAP
Le CAAP, membre du CNPAV, était représenté par Katerine Louineau qui s’est exprimée en début du point 4 de l’ordre du jour :
« Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Je suis plasticienne et ne fais « que ça », comme on dit.
Je commencerai cette contribution par une anecdote personnelle qui à mon sens résume assez bien la situation qui nous est faite. Situation à laquelle je ne me résigne pas, ce qui explique ma présence ici aujourd’hui au nom du CAAP, qui est un syndicat national des auteurs et autrices des arts graphiques, plastiques et photographiques.
Il y a une dizaine d’années, sur le quai d’une gare au moment de nous séparer, mon père me dit : « Bon, et puis travaille ! » Je ne réponds pas à cette injonction un peu absurde, il sait que je travaille plutôt trop que pas assez. Alors il se reprend et il me dit : « Enfin, gagne de l’argent ! » Je ne réponds toujours pas, il connaît aussi nos conditions d’exercice et de travail. Alors finalement, il conclut en me disant : « Change de métier ! »
Je souhaite qu’à l’avenir une telle recommandation devienne aberrante, que les parents ne redoutent plus que leurs enfants s’engagent dans une carrière artistique et que notre société cesse enfin de confondre vocation artistique et « vœu de pauvreté ».
La majeure partie des artistes-auteurs a des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Dans l’économie de la culture, notre sous-rémunération tient systématiquement lieu de variable d’ajustement. Ceux qui s’occupent de l’art en vivent mieux que ceux qui le font. Nos conditions de vie et d’exercice n’ont guère évolué depuis le XIXe siècle, nous sommes toujours les parents pauvres de la culture et aujourd’hui comme hier trop nombreux sont ceux qui vivent de nos charmes en nous laissant sur le carreau.
Chaque année dans les projets de loi de finance, le ministère de la Culture affirme, je cite : « La création contemporaine, dans le secteur des arts visuels, représente un secteur économique à forte valeur ajoutée, porteur d’innovations, de créativité, d’emplois et d’attractivité. De surcroît, la création est un vecteur essentiel d’émancipation individuelle et collective, et de cohésion sociale. »
Le dernier Panorama de l’économie de la culture et de la création en France montre en effet que les arts visuels arrivent en tête des 10 secteurs culturels analysés (musique, audiovisuel, spectacle vivant, livre, radio, etc.) :
‒ en tête en matière de revenus générés dans l’économie française (environ 22 Milliards) ;
‒ et en matière d’emplois salariés induits (environ 314 000 emplois générés).
Mais ce secteur est aussi le premier en matière de précarité, de travail gratuit, de relations inéquitables, de sous-financement public, d’occultation, de droits d’auteurs bafoués, d’inégalité de traitement entre femmes et hommes, de déficience de dialogue social, de manque de considération des syndicats d’artistes-auteurs, de concours et d’appels d’offres indécents, d’insuffisance de régulation, de déficit de contractualisation, d’exceptions au droit d’auteur sans compensation et de carence de répartition de la valeur au sein même du secteur. Toute l’économie des arts visuels se fait à la fois grâce et au détriment des auteurs et des autrices des arts visuels.
La marge de progression pour les premiers professionnels des arts visuels que nous sommes est donc littéralement énorme. Exposer les nombreux problèmes administratifs et socio-économiques auxquels nous sommes constamment confrontés prendrait des heures, voire des semaines. Ce n’est pas le sujet du jour, en revanche il importe que ce soit bel et bien le programme de travail — au long cours — du Conseil national des professions des arts visuels, car nos attentes sont fortes et de longue date.
Pour finir, à l’occasion de l’inauguration de ce Conseil, j’aimerais rendre hommage à une femme, immigrée, autrice de sculptures, de peintures, de céramiques, de décors, de meubles, de masques, de costumes...
Une femme qui affichait sans cesse une volonté de décloisonnement, notamment entre les beaux-arts et les arts appliqués, une femme qui pratiquait les arts visuels dans leur diversité.
Venue de Russie et installée à Paris dans le quartier Montparnasse, à son époque, elle était aussi connue que ses collègues masculins : Pablo Picasso, Marc Chagall, Chaïm Soutine, Amedeo Modigliani, Ossip Zadkine, Fernand Léger, Georges Braque, Juan Gris, Max Jacob, etc.
Mais elle a cessé d’être en vue dès lors qu’elle a cessé d’être en vie. Tant il est vrai que les poubelles de l’histoire de l’art sont particulièrement ouvertes aux femmes.
Par ailleurs, ce fut la première femme admise — en raison de sa carrière et non de son mariage — à la Maison de retraite des artistes de Nogent-sur-Marne où elle est morte en 1957.
Pour ceux qui ne l’auraient pas reconnue, je parle de Maria Ivanovna Vassilieva, dite Marie Vassilieff. « Oui, c’est moi, Marie Vassilieff, toute petite, toute blonde, toute ronde, les yeux très gris, les cheveux très courts et qui vit, depuis vingt ans déjà, dans cet enfer, ce paradis unique qui est Paris », écrit-elle dans ses mémoires, toujours inédites à ce jour.
En cette période de timide réhabilitation des femmes dans l’histoire de l’art, deux expositions lui sont actuellement consacrées, l’une à la fondation des artistes de Nogent-sur-Marne, l’autre à la Villa Vassilieff à Montparnasse.
Ce dont on se souvient souvent le plus à propos de Marie Vassilieff c’est de son atelier transformé en cantine pendant la Première Guerre mondiale. Elle s’était portée volontaire comme ambulancière dans la Croix-Rouge française et avait constaté que la situation économique de nombreux artistes à Paris avait encore empiré. Dans ses mémoires elle écrit : « J’avais remarqué à quel point les artistes étaient malheureux : plus de travail, plus d’argent : une vie très misérable. Je décidai d’organiser une petite cantine très bon marché pour les artistes : pour 60 centimes on pourrait manger une soupe, un plat de viande et un dessert, et pour 2 sous boire un verre de vin. Chacun à son tour m’aidait à faire la cuisine et la vaisselle. Tous les samedis, il y avait une soirée avec musique et poésie, chaque artiste pouvant à l’improviste faire un numéro original. Ce fut chaque fois très bien. » Sa cantine-atelier devint ainsi un lieu de rassemblement populaire des artistes-auteurs, tous métiers confondus.
Aujourd’hui, au-delà de ces actions fédératrices et de cet esprit de solidarité et d’entraide entre artistes-auteurs qui restent essentiels à notre survie et à la dynamique de l’histoire de l’art elle-même, je veux aussi rappeler une période où Marie Vassilieff tirait elle-même le diable par la queue au point de faire paraître en 1932 un avis de liquidation de ses œuvres et d’arrêt de sa carrière. Cet avis était rédigé ainsi :
« MARIE VASSILIEFF Après un quart de siècle d’activité artistique, connue de toute l’Europe, vaincue par l’état actuel des choses, suspend son métier d’artiste, en se mettant BONNE À TOUT FAIRE, en liquidant ses œuvres à 100% dans son atelier de 4 heures à minuit, tous les mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi,
On y mange, on y rit, on y cause et on y est chez soi. Soyez le bienvenu. »
En conclusion, le CAAP souhaite ardemment que le CNPAV, par les mesures concrètes qu’il prendra, permette enfin aux nouvelles générations d’autrices et d’auteurs des arts visuels :
‒ de vivre dignement de leurs métiers ;
‒ de mettre du beurre dans leurs épinards avant de manger les pissenlits par la racine ;
‒ et de ne plus jamais être vaincus par l’état actuel des choses qui perdure hélas aujourd’hui. »