QUEL « PLAN ARTISTES-AUTEURS » METTRE EN ŒUVRE ? (1) : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE OCCULTÉ

Le « plan artistes-auteurs » envisagé par le gouvernement doit être en mesure de répondre à court et long terme aux difficultés systémiques et conjoncturelles rencontrées par les artistes-auteurs et leurs partenaires publics ou privés.

Cette analyse comprend 3 articles :

  1. UN SECTEUR ÉCONOMIQUE OCCULTÉ
  2. POUR LA CRÉATION D’UN CENTRE NATIONAL DES ARTISTES-AUTEURS
  3. SEUL UN COURAGE POLITIQUE HORS DU COMMUN PEUT PERMETTRE DES AVANCÉES RÉELLES POUR LES ARTISTES-AUTEURS VIA LA CRÉATION D’UN CENTRE NATIONAL DÉDIÉ


1/ Un secteur économique unique

La création d’œuvres originales est une activité économique particulière. Le secteur de la création constitue le fondement et le moteur de l’ensemble du secteur culturel [1] . Il irrigue, directement et indirectement, l’ensemble de l’économie française.

Les travailleurs de ce secteur sont les artistes-auteurs (AA) — qui contrairement aux artistes-interprètes (salariés intermittents) — sont des travailleurs non-salariés. Fiscalement, ils sont classés dans les professions libérales ; socialement, ils sont rattachés au régime général. Il s’agit des auteurs d’œuvres artistiques : auteurs d’œuvres littéraires, graphiques, plastiques, photographiques, audiovisuelles, cinématographiques, musicales, chorégraphiques, radiophoniques, etc.

Ils bénéficient de dispositions spécifiques communes d’un point de vue fiscal et social. Cette spécificité découle notamment de la particularité de leur exercice professionnel. Contrairement à toutes les professions classiques dont les revenus sont en lien direct et immédiat avec le travail effectué, la création artistique est au contraire dissociée d’un revenu immédiat et proportionnel au temps de travail. Le travail des artistes-auteurs est régulier. En revanche, les revenus de l’activité artistique sont imprévisibles et irréguliers.
De fait, les artistes-auteurs sont les seuls travailleurs qui peuvent rapporter davantage morts que vivants (cf records de prix des œuvres sur le marché de l’art, montant des droits d’auteur versés aux ayant-droits, etc.).

2/ Un secteur économique mal discerné et méconnu

En plus d’un demi-siècle, il n’y a eu que deux avancées majeures pour les artistes-auteurs :

  • la création de leur régime commun de protection sociale dans les années soixante-dix
  • la création de leur fonds commun de formation continue au sein de l’Afdas en 2013.

Rétroactivement, il est paradoxal que le ministère de la Culture depuis sa création, n’ait jamais véritablement repéré et discerné le secteur de la création en tant que tel, donc jamais clairement cerné les créateurs et les créatrices dans leur ensemble.

Plusieurs facteurs ont pu contribuer à cette situation, devenue aujourd’hui intenable :

  • La faiblesse en nombre des artistes-auteurs, environ 270 000. Une si petite population est rarement la priorité les décideurs publics.
  • La complexité apparente de la population des artistes-auteurs n’encourage pas les décideurs publics à s’atteler à sa bonne gestion globale. La diversité des métiers de la création tend à masquer les problématiques et les enjeux communs aux artistes-auteurs.

De plus, à cette diversité des métiers, se superpose une certaine hétérogénéité des profils économiques des artistes-auteurs :
• profil A : les artistes-auteurs pour qui l’activité artistique est
la principale ou la seule activité professionnelle,
• profil B : les artistes-auteurs pour qui l’activité artistique est
une activité professionnelle secondaire habituelle et constante,
• profil C : les artistes-auteurs pour qui l’activité artistique est
une activité secondaire marginale et/ou occasionnelle.

Au cours de sa carrière un artiste-auteur peut « naviguer » d’un profil à l’autre, il existe une porosité entre ces profils. L’approche statistique et socio-économique des artistes-auteurs — défaillante à ce jour — doit donc être dynamique. Mais cette complexité apparente ne doit pas masquer, ni faire obstacle à la bonne gestion économique, juridique, sociale, fiscale de l’ensemble des artistes-auteurs. La connaissance et le repérage de ce qui est commun aux artistes-auteurs est indispensable, y compris à la bonne compréhension de ce qui les différencie.
Une classification opérationnelle discerne d’abord les caractères communs fondamentaux, c’est ce qui permet ensuite d’étudier et d’affiner les subdivisions. La connaissance de notre diversité passe d’abord par la reconnaissance de notre unité sectorielle.

  • Les pouvoirs publics tendent systématiquement à donner la priorité aux acteurs de l’aval. Le travail de création (en amont) est invisible, seules les œuvres diffusées sont visibles. La création est par nature la partie immergée de l’iceberg. De plus, les pouvoirs publics tendent à croire que l’accès du plus grand nombre à la culture (« démocratisation culturelle ») est une problématique qui relève exclusivement d’une meilleure diffusion des œuvres, ils oublient souvent que l’accès du plus grand nombre à la culture passe aussi par un meilleur accès des citoyens aux activités de création elles-mêmes (« droits culturels », « démocratie culturelle »).
  • La confusion récurrente entre l’économie de l’artiste-auteur (en amont) et l’économie de l’œuvre (en aval) tend à faire oublier aux décideurs publics que les artistes-auteurs vivants ont les mêmes besoins que tout travailleur, que sans artiste-auteur aucune œuvre n’existerait et qu’un soutien aux acteurs de l’aval (diffuseurs, OGC) ne peut être confondu avec un soutien aux acteurs de l’amont (artistes-auteurs vivants). La création (contrat de commande) et la diffusion (droits d’auteur) sont deux aspects distincts et complémentaires des rémunérations des artistes-auteurs qu’il importe de discerner clairement et de respecter systématiquement.
  • La gestion en « silos » des artistes-auteurs par secteurs de diffusion a contribué à masquer leurs problèmes communs, à développer des inégalités de traitement injustifiées et à empêcher le développement d’une culture commune propice à la défense de leurs intérêts collectifs.
  • Le déficit de dialogue social fait partie des causes premières de la marginalisation économique et sociale des artistes-auteurs. Faute d’écoute des premiers professionnels de la création (les créateurs eux-mêmes), il est de fait impossible de développer une politique culturelle qui mette en place un environnement juridique et économique approprié à la spécificité de nos activités de création. Les premiers concernés ne doivent plus être les derniers écoutés.

Un véritable plan artistes-auteurs veillerait à lever l’ensemble de ces freins pour enfin clairement identifier, connaître et reconnaître les artistes-auteurs, dans leur diversité mais surtout dans leur globalité, car, ensemble, ils constituent bel et bien un secteur économique particulier, certes faible en nombre mais essentiel pour tous.

Aujourd’hui, les décideurs publics, et plus particulièrement le ministère de la Culture, ne peuvent plus continuer à s’exonérer d’une politique publique adaptée au secteur de la création.

3/ Un secteur économique malmené

Les problèmes auxquels sont constamment confrontés les artistes-auteurs sont de trois ordres :

  • Problèmes économiques : précarité et incertitudes des métiers de la création ; relations inéquitables avec les diffuseurs, déficit de régulation, déficit de négociations et abus de faiblesse ; dégradations des conditions d’exercice et mutations (ubérisation, travail spéculatif, développement mondial non régulé de l’économie numérique...). La sous-rémunération des artistes-auteurs tient systématiquement lieu de variable d’ajustement. L’économie de la culture se fait à la fois grâce et au détriment des artistes-auteurs eux-mêmes. Dans la pratique, les problèmes économiques des artistes-auteurs et les relations inéquitables se manifestent différemment selon les circuits de diffusion. Rééquilibrer la relation asymétrique qui existe entre représentants des artistes-auteurs et représentants des diffuseurs implique donc des négociations par circuits de diffusion afin d’obtenir des accords.
  • Déficit de dialogue social entre les représentants des artistes-auteurs et leurs diffuseurs, mais aussi entre les représentants des artistes-auteurs et les pouvoirs publics : absence de clarification concernant la représentation professionnelle des artistes-auteurs et la défense de leurs intérêts collectifs (confusion entre syndicats, OGC, associations culturelles) ; défaut de structuration du dialogue social ; financement, indépendance et liberté syndicales des artistes-auteurs non garanties...
  • Cadre d’activité professionnelle : ensemble des dispositions fiscales et sociales existantes à harmoniser, actualiser, simplifier, compléter (« statut ») ; isolement et sous-information (voire désinformation) professionnelle ; problèmes récurrents face aux diverses administrations qui ne discernent pas et méconnaissent les artistes-auteurs, droits non respectés et défaut de recours aux droits existants, non-intégration de l’apprentissage des conditions d’exercice professionnel de leur activité (régime fiscal, régime social, droits d’auteurs, gestion de projets...) dans la formation initiale des artistes-auteurs, etc.

La crise sanitaire a exacerbé l’ensemble de ces problèmes et a mis en évidence l’incapacité de l’État à gérer efficacement la situation catastrophique des artistes-auteurs.


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  1. UN SECTEUR ÉCONOMIQUE OCCULTÉ
  2. POUR LA CRÉATION D’UN CENTRE NATIONAL DES ARTISTES-AUTEURS
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