Les artistes-auteurs et autrices sont désormais les seul•es travailleur•euses à ne pas avoir de conseil effectivement en charge de leur protection sociale !

La décision du tribunal administratif de Paris du 7 novembre 2024, alimentée par la délégation PPSAPE du ministère de la Culture, place la « Sécurité sociale des artistes-auteurs » (2S2A) hors du droit commun des organismes de sécurité sociale. Il en résulte notamment que les artistes-auteurs et autrices (AA) n’ont plus de Conseil effectivement en charge de leur protection sociale, contrairement à tous les travailleur•euses en France.

Contexte : S’agissant des problématiques des AA, le Cabinet du ministère de la Culture et la Direction Générale de la Création Artistique (DGCA) s’en remettent, les yeux fermés, à la délégation PPSAPE (Politiques Professionnelles et Sociales des Auteurs et aux Politiques de l’Emploi), tenue d’une main de fer par son délégué.
En matière de sécurité sociale des AA, le Cabinet du ministère de la Santé et les services de la direction de la Sécurité sociale se contentent également de suivre les positions du délégué PPSAPE. Finalement, le sort et la situation des AA dépend exclusivement d’une seule et même personne dont les positions sont aveuglément suivies par le gouvernement. Cet excès de pouvoir n’est pas sans poser de nombreux problèmes aux AA.

Requêtes en justice : Les requêtes portées devant le tribunal administratif concernaient les deux arrêtés conjoints du ministère de la Culture et du ministère de la Santé en date du 1er décembre 2022, l’un portant sur l’agrément de la Sécurité sociale des artistes-auteurs (2S2A) et l’autre sur la composition du conseil d’administration de la 2S2A.

Les six requérants étaient le CAAP, la Fédération des professionnels de l’art contemporain (CIPAC), la Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens (FRAAP), le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), l’Association française de développement des centres d’art contemporain (AFDCA) et le Réseau des fonds régionaux d’art contemporain Platform.
Seul le ministère de la Culture (sa délégation PPSAPE) a produit des mémoires en défense. En effet, le jugement précise que « La requête a été transmise au ministre chargé de la sécurité sociale qui n’a pas produit d’observations ». C’est pourtant « Le ministre chargé de la sécurité sociale est chargé de l’application de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires relatives à la sécurité sociale »…

Étrangement, le tribunal administratif a statué sur les deux requêtes par un seul et même jugement qui rejette les deux requêtes, pourtant indépendantes (Tribunal administratif de Paris - 6e Section - 3e Chambre - 7 novembre 2024 - n° 2302357)

Que dit fondamentalement cette décision du tribunal administratif à la suite de l’argumentaire de la délégation PPSAPE du ministère de la Culture, sans participation du ministère de la Santé ? Quels sont ses conséquences notamment en matière de missions de la 2S2A et de rôle de son conseil d’administration ?

1/ La Sécurité sociale des artistes-auteurs (2S2A) ne gère pas … la sécurité sociale des artistes-auteurs

Le jugement précise qu’en « 2021, l’Agessa [association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs] a été renommée la Sécurité sociale des artistes auteurs (2S2A)… ». En effet, Ce nouveau nom de l’AGESSA a été officiellement déclaré le 18 février 2021 (voir pdf ci-dessous). L’AGESSA et la Sécurité sociale des artistes auteurs visent une seule et même entité juridique. Aucun « nouvel organisme » n’a été créé, contrairement aux communications floues voire fallacieuses qui ont été diffusées et circulent encore.

Modification_du_nom_de_l_AGESSA

Le tribunal dit que n’est pas une « erreur manifeste d’appréciation » [1] d’agréer un organisme, qui a notoirement violé le code de la sécurité sociale au détriment des artistes-auteurs pendant plus de 40 ans, parce que la 2S2A — alias l’AGESSA – n’a désormais que très peu de missions.

Il est précisé à plusieurs endroits dans le jugement, que la 2S2A est exclusivement agréée pour l’accomplissement des missions définies à l’article R. 382-3 du CSS. Ce qui signifie que la Sécurité sociale des artistes auteurs n’est pas agréée, comme son nom tend à le faire croire, pour gérer la sécurité sociale des artistes-auteurs, mais uniquement pour accomplir les missions définies à l’article R382-3.

2/ Quelles sont les missions de la 2S2A ?

La 2S2A a pour mission — principale selon le tribunal — d’informer les CPAM de qui est affilié au régime général en tant qu’artiste-auteur ou de qui ne l’est plus, et de « contrôler le respect du champ du régime ». En matière de « prononcé d’affiliation » et de contrôle, le directeur de la 2S2A est seul décisionnaire, il peut éventuellement consulter les « commissions instituées par branches professionnelles » pour « avis technique » mais aucun texte ne l’oblige, ni à demander cet avis, ni même à le suivre (article R382-16-2).
Et la 2S2A a pour mission — accessoire selon le tribunal — de procéder « au recensement permanent des artistes-auteurs et des diffuseurs », d’informer « les artistes-auteurs des conditions d’affiliation et des prestations auxquelles ils peuvent prétendre » et d’assurer « le secrétariat de la commission d’action sociale et des commissions professionnelles ».

On peut noter que, dans la pratique, l’affiliation est effectuée par l’Urssaf Limousin. La date d’affiliation est la date du versement du premier précompte pour les artistes-auteurs qui déclarent fiscalement leurs redevances de droits d’auteur en traitement et salaires (TS), ou, la date d’inscription sur le guichet unique de l’INPI pour les artistes-auteurs qui déclarent leurs revenus artistiques en bénéfices non commerciaux (BNC). Dès lors les nouveaux artistes-auteurs entrant dans le régime reçoivent un certificat administratif de l’Urssaf Limousin attestant qu’ils sont affiliés au régime social des artistes-auteurs.
Cependant, qu’en vertu de l’article R382-3 du code de la sécurité sociale, ce sont les services de la 2S2A, et non l’Urssaf Limousin, qui informent les CPAM dans les deux mois qui suivent la date d’affiliation. Dans la pratique, pour les artistes-auteurs et autrices, peu importe que ce soient les services de la 2S2A ou les services de l’Urssaf qui informent les CPAM de leur affiliation… Il s’agit néanmoins selon le tribunal de la « mission principale » de la 2S2A.

Il est à noter que la réforme de 2018 a attribué le « prononcé de l’affiliation » et le « contrôle du champ du régime » au seul directeur de la 2S2A et a introduit la notion de simple « avis technique » pour les commissions professionnelles. Auparavant, l’affiliation était prononcée par les CPAM qui suivaient systématiquement l’avis des « commissions instituées par branche professionnelle ». De fait, aujourd’hui l’affiliation et le champ du régime ne sont plus contrôlés par les représentants des professionnels eux-mêmes

Au final on peut constater que seuls les services administratifs de la 2S2A sont concernés par les missions de l’article R382-3. Il n’est attribué aucun rôle décisionnaire au CA pour l’accomplissement de ces missions. Ainsi les membres du CA n’ont aucun rôle actif, ni décisionnaire pour ces missions de la 2S2A.

3/ Quel est le rôle du Conseil d’administration de la 2S2A ?

Le tribunal a jugé [2] que la Sécurité sociale des artistes auteurs (2S2A) n’est pas un organisme de sécurité sociale et en particulier que son conseil d’administration (CA) n’a pas le rôle d’un conseil de droit commun.

Le dernier rapport d’activité de la 2S2A (voir PDF ci-dessous) débute par ces mots : « La Sécurité sociale des artistes auteurs (anciennement Agessa et Maison des artistes – Sécurité sociale) est un organisme de sécurité sociale, à l’instar de l’Assurance maladie ou de la Caisse d’allocations familiales ». Quand ce rapport a été présenté au CA du 17 septembre 2024, le représentant du ministère de la Culture n’a nullement rectifié alors qu’en même temps, dans le contentieux, le ministère de la Culture n’a pas cessé de torpiller la 2S2A en soutenant que ce n’était pas un organisme de sécurité sociale.

L’article L. 121-1 du code de la sécurité sociale (« Sauf dispositions particulières propres à certains régimes et à certains organismes, le conseil d’administration règle par ses délibérations les affaires de l’organisme ») et son décret d’application, l’article R121-1 (qui précise le rôle d’un conseil d’administration en général) sont des articles « relatifs aux organismes de sécurité sociale ».

Avant la réforme de 2018, la Direction de la Sécurité Sociale (DSS), rattachait clairement nos organismes agréés au droit commun des organismes de sécurité sociale, notamment en matière de champ de compétence du CA. À ce sujet, la DSS avait répondu noir sur blanc aux administrateurs : «  Les textes applicables pour déterminer le champ de compétence du conseil d’administration sont les articles R. 382-9 et R121 -1 du code de la sécurité sociale… L’article R121-1 est ici l’article d’application de l’article L121-1. Il convient donc de considérer que le champ de compétence donné au CA est précisément décrit par la liste de compétences de l’article R121-1 ». Ce courrier est signé Jean-Louis Rey, qui était alors sous-directeur de la DSS. Ce dernier a, par la suite, été directeur général de l’ACOSS, il est actuellement président du conseil d’administration de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades)...
Le ministère de la Culture a soutenu l’inverse et dans sa décision, le tribunal administratif a approuvé cette position.

En affirmant que la 2S2A n’est pas un organisme de sécurité sociale pour déduire que les articles L121-1 et R121-1 ne sont pas applicables aux artistes-auteurs, le jugement détache les artistes-auteurs du droit commun de la sécurité sociale : aucun organisme de sécurité sociale ne fonctionne sans gouvernance des bénéficiaires et tout conseil d’administration de sécurité sociale « règle par ses délibérations les affaires de l’organisme ».

Mais selon le tribunal, les « dispositions particulières » aux artistes-auteurs seraient les seules applicables, car elles seraient totalement autonomes et dérogeraient en bloc aux dispositions générales et ce, bien que les artistes-auteurs soient expressément « rattachés au régime général ».

Les « dispositions particulières » du code de la sécurité sociale visées par le tribunal sont les articles L382-1 et suivants, ainsi que les articles R382-1 et suivants, du code de la sécurité sociale.

La composition du CA est mentionnée aux articles L382-2 et R382-8. Mais dans ces « dispositions particulières », aucun article ne précise le rôle du CA, aucun article ne liste ses missions.

En revanche, le rôle des conseils d’administration des organismes du régime général est mentionné aux articles L121-1 et R121-1. Par ailleurs, le rôle du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants est mentionné à l’article L612-1 du code de la sécurité sociale, et la protection sociale des agriculteurs est gérée démocratiquement par un conseil élu…

Finalement, on ne trouve, en tout et pour tout, que deux rôles au CA de la 2S2A dans les « dispositions particulières » aux artistes-auteurs :

  • La nomination des membres de la commission d’action sociale (article R382-30-2).
  • Le contrôle des « opérations financières et comptables » effectuées par le directeur et l’agent comptable (article R382-9).
Ainsi désormais les artistes-auteurs sont les seuls travailleurs en France à ne pas avoir de conseil effectivement en charge de leur protection sociale.

En conclusion, conformément à ce jugement du tribunal administratif, la Sécurité sociale des artistes-auteurs (2S2A) n’a que de maigres missions effectuées par ses services administratifs et les artistes-auteurs et autrices sont dotés d’un conseil d’administration au rabais qui ne décide pratiquement de rien, contrairement à tous les autres travailleurs et travailleuses en France.

4/ Hors droit commun de la sécurité sociale, agréer une association autocratique et bicéphale devient possible pour les AA

Notre détachement du droit commun de la sécurité sociale, auquel a obstinément œuvré le ministère de la Culture, permet aussi de « justifier » l’agrément de la 2S2A malgré ses statuts hautement problématiques.

Le tribunal du fait qu’il se réfère, exclusivement et strictement, aux « dispositions particulières » des artistes-auteurs, en déduit que « aucun principe ou règle ne fait obstacle » à l’agrément d’une association dès lors que les articles R382-8 à R382-15 sont respectés par ses statuts. Or, concrètement il s’agit uniquement des articles qui prévoient les désignations interministérielles (CA et directeur) et les modalités de contrôle et de sanction des ministères de tutelles. Ces conditions minimales relatives au contrôle ministériel sont estimées nécessaires et suffisantes par le tribunal.

Ainsi peu importe que les statuts de l’association soient autocratiques et lacunaires en matière de missions obligatoires de l’organisme agréé ; peu importe que les statuts contiennent des dispositions imprévues voire contradictoires avec le droit commun de la sécurité sociale, puisque le tribunal estime que ce droit commun n’est pas applicable. Par exemple, aucun président de conseil d’administration de sécurité sociale ne dispose des pleins pouvoirs ; aucun organisme de sécurité sociale n’a de double gouvernance ; aucune assemblée générale ne peut s’attribuer des prérogatives qui font doublon avec celles du Conseil d’administration. Etc.

Le droit associatif lui-même n’est pas respecté : les statuts de la 2S2A imposent aux membres du CA désignés par les ministères d’être membres de l’association 1901 et de l’AG. Le tribunal considère qu’être membre d’une association 1901 sans y avoir adhéré, c’est-à-dire sans l’avoir choisi, n’est pas une atteinte à la liberté d’association. Il considère également que la présence des « deux représentants de l’État, et ceux de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) et de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) » dans les assemblées générales de l’association n’est pas non plus une atteinte à la liberté d’association. À ce sujet, le tribunal s’est lui-même embrouillé entre les deux gouvernances : le jugement confond le CA et l’AG à son point 21…

Enfin s’agissant de l’évidente sous-représentation de la « branche des arts graphiques et plastiques » dans la composition du conseil d’administration de la 2S2A qui est pourtant supposée être le fruit du « rapprochement » de l’AGESSA et la MDA, le tribunal n’y voit aucun inconvénient. Il a été jugé, d’une part, que l’arrêt interministériel n’était pas tenu de représenter la « branche des arts graphiques et plastiques » (précédemment gérée par la MDA) et, d’autre part, que cette « branche » est parfaitement représentée dans le collège des artistes-auteurs par 5 structures spécifiques sur 16 (cf point 30) : la Guilde des auteurs-réalisateurs de reportages et de documentaires (GARRD), la Société des réalisateurs de films (SRF), la Fédération conseil culture communication-CFDT, la CGT-spectacle et l’Union des photographes professionnels (UPP). Le tribunal administratif, qui visiblement ignore ce domaine de la création artistique, ne cite même pas, l’Alliance France Design (AFD) qui est en réalité la seule organisation spécifique aux arts graphiques et plastiques actuellement représentée dans le CA…

Divers autres points de ce jugement font problème, nous n’avons abordé ici que les plus conséquents pour la profession d’artiste-auteur qui est, une fois de plus placée hors du droit commun, voire cantonnée dans une zone de non-droit…

État de droit es-tu là ?