RÉGIME SOCIAL DES ARTISTES-AUTEURS : 2019, L’ANNÉE DE TOUS LES DANGERS ?

1/ UNE INCURIE COUPABLE DES MINISTÈRES DE TUTELLE

De l’incurie au mépris, le ministère de la santé porte une très lourde responsabilité dans la mauvaise gestion du régime de protection sociale des artistes-auteurs et dans son évolution. Non seulement son refus du dialogue social est récurrent mais il a sciemment laissé l’Agessa violer le code de la sécurité sociale depuis plus de 40 ans au détriment des artistes-auteurs non affiliés, et ce, alors qu’il est en charge du contrôle de l’égalité des deux organismes sociaux des artistes-auteurs, l’Agessa et Mda-sécurité sociale (voir notre article).

De plus, depuis avril 2014, suite à une "erreur" des ministères de tutelle, les organismes sociaux (Agessa et Mda-ss) n’ont plus de conseil d’administration. Ainsi, depuis 4 ans, nos organismes fonctionnent illégalement car sans instances décisionnaires représentant leurs assurés sociaux : les artistes-auteurs (voir notre article). L’administrateur provisoire nommé en 2015 par la DSS (Direction de la sécurité sociale) qui devait organiser les élections des administrateurs ne l’a jamais fait ...

« La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. » Cette citation de Henri Queuille semble la règle de conduite de la direction de la sécurité sociale et du ministère de la santé.

Le Caap travaille assidûment et depuis longtemps à la simplification et la modernisation de notre régime social dans le respect de ses spécificités fondamentales. Nous avons fait depuis le rapport de 2013, de nombreuses propositions constructives et argumentées, dans un souci de rationalisation, d’actualisation, de justice et d’équité (voir nos publications à ce sujet ainsi que les modifications législatives proposées par l’Usopave au gouvernement et au parlement en fin d’article).

Mais les problématiques du régime social des artistes-auteurs restent systématiquement dans l’angle mort des gouvernements qui se succèdent depuis des décennies. Force est de constater que la France se soucie fort peu de ses artistes-auteurs.

2/ LES FONDEMENTS DU RÉGIME SOCIAL DES ARTISTES-AUTEURS

La nécessité d’un régime de sécurité sociale adapté aux artistes auteurs tient aux particularités de la création artistique elle-même (voir notre article).

La loi de 1975 a défini les principes fondamentaux du régime de protection sociale des artistes-auteurs actuel. Compte tenu de la spécificité des activités professionnelles des artistes-auteurs et des revenus dissociés et précaires qu’elles procurent, la loi a institué un système de protection sociale rattaché au régime général avec des droits similaires à ceux des salariés en contrepartie de taux de cotisation identiques et basés sur le revenu fiscal de l’artiste-auteur.

L’article L382-3 du code de la sécurité sociale prévoit que les cotisations des artistes-auteurs soient calculées selon les taux de droit commun applicables aux salariés.
L’assiette de cotisation est fonction du revenu artistique professionnel déclaré fiscalement. Les artistes-auteurs sont des travailleurs indépendants. Leurs revenus (ventes d’œuvres, droits d’auteur...) ont par principe le caractère de bénéfices des professions non commerciales. Ce qui implique une déclaration fiscale en BNC (bénéfices non commerciaux). Par dérogation à ce principe de base, l’article 93-1quater du code général des impôts prévoit que lorsqu’ils sont intégralement déclarés par les tiers, les produits de droits d’auteur perçus par les auteurs des œuvres de l’esprit mentionnées à l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle sont soumis à l’impôt sur le revenu selon les règles prévues en matière de traitements et salaires.

La part « employeur » des cotisations est assurée par le versement d’une contribution par toute personne physique ou morale qui procède à la diffusion ou à l’exploitation commerciale d’œuvres originales : œuvres d’arts graphiques, plastiques, photographiques, littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques (cf article L382-4 du CSS). Cette contribution du « diffuseur » s’élève à 1,1 % dont 1 % au titre du régime de sécurité sociale et 0,1 % au titre de la formation professionnelle continue des artistes-auteurs.

Placés sous la double tutelle du ministère de la santé et du ministère de la culture, deux organismes ont été agréés pour le recouvrement des cotisations et contributions des artistes-auteurs et des diffuseurs : la Mda-sécurité sociale pour les artistes-auteurs et les diffuseurs des arts graphiques et plastiques, et l’Agessa pour les autres artistes-auteurs et diffuseurs.

Assiettes et taux de cotisation des artistes-auteurs en 2017 (source : sécurité sociale des artistes-auteurs)



3/ EN 2019, DES MESURES PÉRILLEUSES, FAUTE DE RÉFLEXION, DE CONCERTATION ET D’ANTICIPATION

Sur proposition du ministère de la santé, via les projets de loi de finance de la sécurité sociale, le gouvernement Hollande, puis le gouvernement Macron, ont fait adopter par le parlement des modifications législatives conséquentes relatives au régime social des artistes-auteurs. Certaines de ces modifications - qui prennent effet au 1er janvier 2019 sans que les conditions pré-requises indispensables aient été réunies au préalable - sont susceptibles d’empirer la protection sociale des artistes-auteurs au lieu de l’améliorer.

Elles ont été décrétées en l’absence de toute concertation avec les syndicats d’artistes-auteurs. Au moment des votes en 2015 et en 2017, l’Usopave, dont le Caap fait activement partie, a clairement alerté les parlementaires et les commissions des affaires sociales de l’Assemblée Nationale et du Sénat des risques encourus.

Les principales mesures législatives votées sont :

• En 2015, le parlement a voté l’élargissement du précompte (effectué par les diffuseurs et les organismes de gestion collective) à la cotisation vieillesse plafonnée (6,90%). Cette disposition est applicable à compter du 1er janvier 2019 mais à ce jour sans garantie relative aux droits acquis en regard, ni à une base de cotisation correcte pour les déclarants en BNC.

• En 2017, le parlement a voté plusieurs mesures à compter du 1er janvier 2019

•• Un 1er volet intitulé par le gouvernement : " Modernisation des procédures de déclaration et de recouvrement " comprenant :

- le transfert du recouvrement des cotisations et contributions sociales des artistes-auteurs et de leurs diffuseurs à l’URSSAF Limousin, en sus et place de la Mda-ss et de l’Agessa, sans anticipation, ni préparation.

- l’évincement implicite des représentants des artistes-auteurs dans le pilotage de leur régime de protection sociale. Les conseils d’administration de la Mda-ss et de l’Agessa n’ont pas de rôle explicite suite à la décision de transfert du recouvrement à l’Urssaf. À ce jour, ces conseils sont maintenus mais sans fonction réelle en regard du nouvel organisme unique de recouvrement.

- L’action sociale continuera de relever de la commission d’action sociale commune aux deux organismes et de concerner les artistes-auteurs qui sur-cotiseront sur une base forfaitaire (ex "affiliés à titre dérogatoire").

- Le prononcé de l’affiliation (au sens d’immatriculation dans le régime social des artistes-auteurs) relèvera des commissions professionnelles, et non plus des CPAM (qui de fait suivaient toujours l’avis des commissions professionnelles à ce sujet...).

- la suppression dans la loi du mode électif pour la désignation des membres des conseils d’administration de la Mda-ss et l’Agessa, malgré l’opposition notoire des syndicats d’artistes-auteurs à ce sujet.

- l’ingérence des organismes de gestion collective (OGC) dans les commissions professionnelles jusqu’ici composées des représentants des syndicats d’artistes-auteurs (mesure illégitime adoptée par amendement, malgré l’opposition pertinente du Sénat).

- l’obligation pour les tiers (diffuseurs, OGC) qui précomptent des cotisations sociales de fournir le numéro de sécurité sociale des précomptés.

•• Un second volet intitulé par le gouvernement : " suppression de la distinction entre "affiliés" et "assujettis" et comprenant :

- la limitation du rôle des commissions professionnelles à la vérification du champ d’application du régime. Jusqu’à présent, les commissions délibéraient aussi sur les "affiliations à titre dérogatoire" et les "maintiens d’affiliation" en cas de revenu inférieur au "seuil d’affiliation" (le "seul d’affiliation" étant le montant annuel qui valide 4 trimestres vieillesse).

- la possibilité pour tout cotisant du régime de sur-cotiser sur la base de l’assiette forfaitaire qui valide 4 trimestres vieillesse (cette assiette correspond à l’actuel seuil d’affiliation) et de s’ouvrir ainsi les droits aux prestations du régime.

- l’intégration dans le revenu artistique des revenus d’activités connexes pour tous les cotisants du régime (la circulaire de 2011 sur les activités dites "accessoires" avait arbitrairement exclu les actuels "assujettis non affiliés", voir notre article)

L’intitulé du gouvernement : suppression de la distinction entre "affiliés" et "assujettis" est un rideau de fumée relatif aux pratiques illégales de l’Agessa à l’égard des actuels "assujettis non affiliés".
Ouvrir des droits à tous les artistes-auteurs qui cotisent dans ce régime fait depuis toujours partie des dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale pour les artistes-auteurs. Les pratiques discriminantes de l’Agessa à l’égard de ses "assujettis" - abusivement considérés comme sans droit - constituent de fait une violation de la loi et ce, dès la création de l’Agessa en 1977.

Nota bene : il y aura toujours une différence entre les cotisants validant 4 trimestres vieillesse et ayant accès aux prestations du régime (actuels "affiliés") et ceux qui valident moins de 4 trimestres (actuels "assujettis"). Laisser supposer le contraire relèverait d’une rhétorique démagogique.
In fine cet intitulé gouvernemental semble surtout viser à masquer la responsabilité de l’État dans le mauvais traitement systématique des non affiliés de l’Agessa.
De fait, les deux mesures contenues dans ce "second volet" (1/ affiliation à titre dérogatoire sur simple demande du cotisant 2/ ouverture aux assujettis des activités connexes) ne nécessitent nullement de prétendre supprimer la distinction entre "assujettis" et "affiliés" qui relève d’une simple question de vocabulaire.

Nous reviendrons en détail sur chacune de ces mesures dans de prochains articles. Certaines, notamment les deux dernières satisfont des revendications du Caap (affiliation sur option de l’intéressé·e et activités connexes pour tous), elles sont susceptibles de constituer une amélioration. D’autres posent des problèmes et soulèvent de nombreuses questions, il en est notamment ainsi du flou pernicieux concernant la gouvernance du régime mais aussi de certaines mesures qui ressemblent fort à "mettre la charrue avant les bœufs".

Les phases basiques usuelles d’un projet sont :

  • Phase préliminaire : réflexion sur la pertinence du projet en lui-même
  • phase d’expression et de validation des besoins (concertation)
  • phase de faisabilité (étude de ce qui est techniquement faisable)
  • phase de conception et de réalisation avec ordonnancement dans le temps.

Aucune de ces phases n’a été respectée, notamment la faisabilité de ces mesures dans le respect effectif de la représentation et des droits des artistes-auteurs. Aucune feuille de route, aucun schéma d’ordonnancement n’ont été établis en amont des modifications de la loi... Qu’un gouvernement agisse comme un enfant qui enfile ses chaussures avant son pantalon a évidemment de quoi inquiéter ceux qui en subiront les conséquences : nous, les artistes-auteurs.

Le gouvernement a visiblement fait le pari que l’intendance suivrait, jusqu’à preuve du contraire, ce vœu pieux le positionne en apprenti sorcier et les artistes-auteurs en cobayes.

Le gouvernement a présenté avantageusement ses modifications législatives aux parlementaires (voir annexe 10 du PLFSS 2018 en fin d’article). Avantageuses mais aussi trompeuses. Les motivations affichées sont une chose, les effets réels des modifications de la loi peuvent différer sensiblement voire franchement diverger. Les déclarations d’intention passent, la loi reste. Notre vigilance reste entière.

Ces nouvelles mesures législatives impliquent des modifications règlementaires (décrets d’application, arrêtés...). Nul n’ignore que le diable est dans les détails.
Il est crucial que désormais les syndicats d’artistes-auteurs soient systématiquement consultés sur tous les décrets et arrêtés à venir.

"Suivi de la mise en œuvre : un comité de pilotage spécifique sera constitué pour suivre la mise en œuvre de cette réforme" affirme l’annexe 10 du PLFSS 2018, sans préciser toutefois ni le délai de mise en place de ce comité de pilotage, ni sa composition.
La création de ce comité de pilotage est en effet urgente et indispensable. Les syndicats d’artistes-auteurs doivent d’évidence en faire partie.

4/ UNE DIRECTION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE QUI SE CONDUIT EN POMPIER PYROMANE

Suite à une question au gouvernement de la députée Frédérique Dumas, Agnès Buzyn, Ministre de la santé a affirmé le 23 mai 2018 devant l’assemblée nationale : « Le gouvernement accorde une importance à l’amélioration des droits sociaux des artistes et auteurs. Cela n’a pas été toujours le cas ».

Nous n’avons pas la mémoire courte.
De fait, depuis longtemps la DSS et le ministère de la santé considèrent comme quantité négligeable les droits sociaux des artistes-auteurs (260.000 personnes ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des assurés sociaux).
Depuis des décennies, la DSS refuse toute actualisation du régime de protection sociale des artistes-auteurs, freinant ainsi à la fois sa modernisation, son amélioration et sa simplification.
La DSS a volontairement laissé se dégrader au fil du temps la qualité du service rendu aux artistes-auteurs en matière de protection sociale.
La DSS et le ministère de la santé ont failli depuis plus de 40 ans à leur rôle de contrôle de légalité en laissant perdurer sciemment les pratiques illégales de l’Agessa préjudiciables aux artistes-auteurs non affiliés.
La DSS et le ministère de la santé ont systématiquement refusé de prendre les mesures nécessaires pour réparer et faire cesser la spoliation des assujettis de l’Agessa en BNC.
En 2011, suite au départ à la retraite de la directrice de la Mda-ss, la DSS a nommé le directeur de l’Agessa à la direction commune des deux organismes sociaux alors qu’elle savait que ce dernier ne respectait pas la loi concernant les non affiliés.
La DSS a laissé le directeur commun Agessa et Mda-ss ne pas respecter ses propres injonctions du 31 décembre 2014, notamment fournir la dispense de précompte aux artistes-auteurs non affiliés de l’Agessa qui le demandent et les identifier à compter du 1er janvier 2015.
La DSS a laissé l’administrateur provisoire qu’elle avait nommé en 2015 ne pas respecter la mission qu’elle lui avait elle-même confiée, notamment l’organisation des élections des membres des conseils d’administration.
Depuis 2014, la DSS a refusé chaque année l’investissement nécessaire à la mise en œuvre d’un système informatique commun à la Mda-ss et l’Agessa qui aurait permis un traitement opérationnel du recouvrement.
Au final, la DSS reproche aujourd’hui aux organismes sociaux (Mda-ss et Agessa) un manque d’efficience et des dysfonctionnements dont elle est elle-même responsable.

Le principe constitutionnel de continuité de l’État engage pleinement la responsabilité de l’actuel gouvernement et ses ministères de la santé et de la culture dans les graves dysfonctionnements, passés et présents, relatifs à la protection sociale des artistes-auteurs.

Documents à télécharger

amendement_se_cu_aa_-_usopave
annexe_10_plfss_2018_extrait_aa