LA RECOMPOSITION ARBITRAIRE ET DÉSÉQUILIBRÉE DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES-AUTEURS

1/ Un décret illégal : le Conseil d’État donne raison au CAAP

L’article 2 du décret n° 2020-1095 du 28 août 2020 modifiait la composition du conseil d’administration de tout organisme agréé prévu à l’article R. 382-2 du code de la sécurité sociale. Le ministère de la Culture avait subrepticement introduit dans le conseil des représentants des organismes de gestion collective (OGC) avec voix délibérative, alors que l’article L382-2 du code de la sécurité sociale prévoit que les représentants avec voix délibérative sont exclusivement les partenaires sociaux du régime, c’est-à-dire les représentants des artistes-auteurs affiliés et les représentants des diffuseurs. Sont également prévus par la loi, des représentants de l’État avec voix consultative, mais nullement des représentants des OGC (ADAGP, SACD, SACEM, SAIF, SOFIA) !

Suite à un recours devant le Conseil d’État porté par le CAAP, l’article 2 a été annulé en tant qu’il prévoyait, au premier alinéa de l’article R. 382-8 du code de la sécurité sociale, que siègent avec voix délibérative au sein du conseil d’administration trois représentants des OGC.

Par décision du 20 octobre 2021, le Conseil d’État a condamné le ministère de la Culture pour excès de pouvoir. Les ministères ne pourront pas, comme ils l’avaient initialement prévu, désigner illégalement des OGC dans le Conseil d’administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs. Cf pdf ci-dessous.

Decision_Conseil_Etat_oct_2021

2/ Des prémices inquiétantes avant la désignation des administrateurs : l’AGESSA hors la loi adoubée

Le 12 février 2021, L’AGESSA modifie discrètement son nom pour s’intituler « sécurité sociale des artistes-auteurs ». Voir pdf ci-dessous.


Jusqu’au 1er décembre 2022, co-existaient deux organismes agréés, chargés de la gestion du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs : la MDA pour les artistes-auteurs d’œuvres d’arts graphiques et plastiques et l’AGESSA pour les autres artistes-auteurs.

L’AGESSA, qui n’a jamais respecté le code de la sécurité sociale, a fortement porté préjudice aux artistes-auteurs et autrices en matière de droits sociaux. Ces faits longtemps cachés sont désormais de notoriété publique.

Le 1er décembre 2022, les ministères de la Santé et de la Culture ont retiré son agrément à la MDA : arrêté relatif au retrait de l’agrément de l’association La Maison des artistes pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs d’œuvres graphiques et plastiques.

Le 1er décembre 2022, les ministères de la Santé et de la Culture ont agréé exclusivement l’AGESSA, sous son nouveau nom « sécurité sociale des artistes-auteurs » : arrêté relatif à l’agrément de l’association Sécurité sociale des artistes-auteurs.

Ainsi, désormais l’organisme unique agréé est l’association dite « sécurité sociale des Artistes Auteurs » (2S2A). Cet organisme unique n’est ni une caisse, ni un nouvel organisme, mais l’AGESSA sous un nouveau nom. Aucune structure ad hoc n’a été créée, ni même envisagée. Les ministères ont jugé bon d’agréer l’association qui s’est avérée systématiquement hors la loi depuis sa création et dont la direction est également inchangée depuis des décennies…

Pour mémoire, l’AGESSA a été créée par des OGC et des diffuseurs... En savoir plus.

Ajoutée à la suppression arbitraire des élections des représentants des AA, cette prime à l’illégalité offerte à l’AGESSA par les ministères ne peut que fortement inquiéter les artistes-auteurs et autrices.

3/ Un arrêté illicite, partial et déséquilibré

Suite à sa procédure informelle opaque et en temps limité, les ministères de la Culture et de la Santé ont fixé la composition du conseil d’administration par un arrêté du 1er décembre 2022, soit plus d’un an après la clôture des candidatures des « organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs » au 31 octobre 2021…

  • Un arrêté qui ne respecte ni le code de la sécurité sociale, ni le code du travail

« Au titre des organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs » sur seize sièges, on décompte : 8 associations non syndicales, 2 confédérations de … salariés, et 8 « organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs ».
L’article R382-8 du code de la sécurité sociale dispose pourtant que seules des « organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs » peuvent être désignées par les ministères.

Pour mémoire, dans sa procédure informelle, le ministère de la Culture n’avait pas explicité quelles organisations étaient éligibles. Mais il était supposé « tenir compte » des critères de représentativité des syndicats professionnels. Or, il n’a pas désigné exclusivement des syndicats professionnels et il a lui-même supprimé les élections, donc écarté le seul critère objectif permettant de mesurer la représentativité d’un syndicat de travailleurs.

  • Des syndicats d’artistes-auteurs abusivement écartés

L’avis d’appel à candidature du ministère affichait comme objectif de « permettre à l’autorité chargée de leur désignation de s’assurer que les critères fixés par la réglementation sont vérifiés ». Or bien que remplissant tous les critères énoncés, des « organisations professionnelles et syndicales » d’artistes-auteurs ont été écartées, notamment des syndicats d’artistes-auteurs qui avaient toujours eu des représentants élus, avant la suppression des élections par les ministères...

  • Une sous-représentation flagrante de l’ex-organisme agréé MDA au profit de l’AGESSA (désormais seule association agréée sous son nouveau nom)

Sur seize sièges « au titre des organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs », on note que seulement deux sièges ont été attribués par les ministères à des administrateurs de l’ex-conseil d’administration de la MDA (AFD et CAAP). Tous les autres syndicats d’artistes-auteurs qui avaient des représentants élus dans le conseil d’administration de la MDA ont été écartés. L’arrêté de composition du conseil du 1er décembre 2022 est de facto un arrêté de décomposition de la MDA et une atteinte au droit syndical. Cette partialité ministérielle ne sera pas sans incidence sur la défense des droits sociaux des artistes-auteurs, notamment des arts graphiques et plastiques. Pour mémoire, il y avait deux fois plus d’artistes-auteurs et autrices qui atteignaient le seuil d’ouverture de tous les droits du régime social, à la MDA qu’à l’AGESSA.

  • Une représentation particulièrement déséquilibrée en regard des effectifs d’affiliés à titre principal et des déclarants en BNC

S’agissant de la composition du conseil d’administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs, une représentation équilibrée des artistes-auteurs doit nécessairement prendre en compte les effectifs des divers métiers de la population relevant à titre principal ou exclusif du régime de la protection sociale des artistes-auteurs.

Avant la réforme de 2018, les « affiliés » étaient ceux qui atteignaient le seuil d’ouverture de tous les droits dans le régime social des artistes-auteurs. Ils constituaient le corps électoral.

Depuis la réforme de 2018, les artistes-auteurs sont « affiliés » au premier euro perçu sans pour autant s’ouvrir tous les droits dans le régime social des artistes-auteurs. Un très grand nombre d’entre eux exercent d’autres activités professionnelles et dépendent donc d’un autre régime de sécurité sociale.

Or les ministères ont recomposé le conseil d’administration sans chercher à connaître les effectifs par métiers ou par « branches » des artistes-auteurs concernés à titre principal ou exclusif par le régime social des artistes-auteurs.

Le préjugé spontané qui consisterait à imaginer des domaines de création (arts visuels, écrit, musique, audiovisuel) d’un poids équivalent en termes d’effectifs parmi les artistes-auteurs s’avère clairement faux. Les effectifs de ces « branches » sont en fait très inégaux.

À notre connaissance, aucune statistique n’a été demandée par les ministères à l’Urssaf Limousin avant la promulgation de l’arrêté qui répartit pourtant les sièges en visant certaines catégories d’artistes-auteurs plus que d’autres.

Des statistiques sont néanmoins publiquement disponibles.

Les 5 « branches » des artistes-auteurs telles qu’elles ont été pensées et gérées jusqu’à présent par la MDA et l’AGESSA ne sont pas des regroupements cohérents et complémentaires de métiers d’artistes-auteurs. La MDA vise bien des métiers d’artistes-auteurs. Mais les quatre « branches » de l’AGESSA correspondent moins à des métiers qu’à des circuits de diffusion et/ou des canaux de précompte. Il s’agit notamment :
• du canal des éditeurs de livres,
• du canal des producteurs de musique et des entrepreneurs de spectacle,
• du canal des producteurs audiovisuels et cinématographiques.
À l’AGESSA, seule la « branche » de la photographie concerne un métier d’artiste-auteur.

Néanmoins, à travers les effectifs d’affiliés au sens antérieur à la réforme qui a transféré la collecte des cotisations à l’Urssaf Limousin, les statistiques disponibles de la MDA-AGESSA peuvent donner une approximation par « branches » des effectifs d’artistes-auteurs concernés à titre principal ou exclusif par le régime social des artistes-auteurs.

Affilies_par_annee_source_MDA_AGESSA



Il est également possible de se référer aux statistiques du régime obligatoire de retraite complémentaire des artistes-auteurs géré par l’IRCEC, en particulier les effectifs d’affiliés au RAAP qui est le régime commun de retraite complémentaire.

Affilies_par_annee_source_IRCEC



Enfin, le fonds de formation professionnelle des artistes-auteurs géré par l’Afdas produit régulièrement des statistiques sur les bénéficiaires de formation par « branches ». L’éligibilité au financement des formations par l’Afdas concerne une population d’artistes-auteurs nettement plus large que celle des ex-affiliés de la MDA ou de l’AGESSA ou que celle des affiliés du RAAP.

Beneficiaires_par_annee_source_AFDAS



Dans tous les cas, on observe une convergence et une forte stabilité de ces répartitions d’effectifs dans le temps. On observe aussi une divergence flagrante avec la répartition en sièges des représentants des artistes-auteurs dans le conseil d’administration, arrêtée par les ministères.

Composition_CA_secu_AA



Les ministères ont nettement défavorisé dans le conseil d’administration, la représentation des arts graphiques, plastiques et photographiques (ie les arts visuels) au profit des trois autres « branches ».

Par ailleurs, il existe deux types d’assiette sociale pour les artistes-auteurs selon leur déclaration fiscale. Soit le revenu est déclaré en BNC et les cotisations sont calculées sur leur bénéfice majoré de 15 % (BNC + 15 %). Soit les droits d’auteurs versés par les éditeurs, les producteurs et les OGC (organisme de gestion collective) sont déclarés en TS (traitements et salaires), et les cotisations sont précomptées sur le montant brut hors taxe des droits d’auteurs.

L’exercice professionnel et les problématiques diffèrent sensiblement selon le type d’assiette sociale, notamment les difficultés rencontrées par les artistes-auteurs et autrices en matière de protection sociale et de déclaration sociale à l’Urssaf Limousin.

En donnant une très large majorité aux organisations dont les adhérents déclarent généralement leurs revenus en TS – au lieu d’équilibrer la représentation des deux modalités déclaratives du régime – les ministères portent gravement préjudice aux déclarants en BNC dont les problématiques seront ignorées ou sous-estimées au sein du conseil d’administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs.