L’effondrement et la désorganisation de l’action sociale du régime des artistes-auteurs et autrices

Tandis que la précarité des artistes-auteurs et autrices (AA) n’a cessé de s’amplifier, le nombre de bénéficiaires de l’action sociale est passé, en moins de 10 ans, de 1 289 (en 2013) à 10 (en 2021) et le montant global de l’action sociale est passé de 619 898 € (en 2013) à 6 590 € (en 2021) !

1/ Un non-recours massif des AA

Si vous avez opté pour une sur-cotisation vous êtes éligible à une aide.
Informez-vous ! Pour en savoir plus c’est ici :

NB : Vous pouvez demander une aide pour 2021 mais aussi pour les années antérieures :
https://www.secu-artistes-auteurs.fr/artiste-auteur/mon-activite-artistique/baisse-de-revenus/demande-daide-sociale

Remarque : l’assiette forfaitaire est passée de 900 à 600 SMIC horaire par décret du 30 décembre 2021. L’assiette forfaitaire est donc de 600 SMIC horaire depuis le 1er janvier 2022 (et non depuis le 1er janvier 2021). L’article de la sécurité sociale des AA ci-dessous est donc erroné sur ce point ! Les demandes d’aide jusqu’en 2021 inclus portent toutes sur 900 SMIC horaire.

Article D382-4

2/ Rappel du rôle de la commission d’action sociale

  • L’option de sur-cotisation sur une assiette forfaitaire est une caractéristique fondamentale du régime social des AA.

À l’exception des œuvres de commande, un AA qui créé une œuvre ne sait, ni quand, ni combien, cette œuvre lui rapportera. Ce décalage, souvent très conséquent, entre travail et rémunération des AA est une spécificité de la création artistique.

C’est pourquoi le législateur a prévu une disposition particulière de protection sociale des AA : « Si les revenus ou rémunérations qu’ils retirent de leurs activités artistiques sont inférieurs pour l’année considérée à un montant fixé par décret, les artistes-auteurs peuvent cotiser à leur demande sur une assiette forfaitaire correspondant à ce montant. » (cf article L382-3-1 du code de la sécurité sociale).
Chaque année, depuis la création du régime, les AA peuvent donc demander à cotiser sur une assiette forfaitaire, qui tient lieu de filet de sécurité.

Cette disposition indispensable – appelée aujourd’hui « option de sur-cotisation » – est particulièrement adaptée aux AA dont l’activité artistique est l’activité professionnelle principale. En effet, ces derniers, contrairement aux AA pluriactifs, ne s’ouvrent pas ou trop peu de droits sociaux dans d’autres régimes de sécurité sociale.

  • La possibilité de sur-cotiser implique une action sociale spécifique.

L’option de « sur-cotisation », comme son nom l’indique, implique pour les demandeurs un surcoût. Pour maintenir leur protection sociale, les demandeurs, souvent en situation de grande précarité, doivent payer des cotisations sur des sommes non perçues. Dès lors, le pendant nécessaire à la sur-cotisation est une aide sociale qui prend en charge tout ou partie des cotisations appelées selon la situation économique et sociale de l’AA.

Cette aide sociale spécifique aux AA est notamment prévue par l’article L382-7 et l’article R382-30-1 du code de la sécurité sociale.

La commission d’action sociale du régime est définie à l’article R382-30-2 du code de la sécurité sociale. Elle comprend 10 membres nommés par le ou les conseils d’administration du ou des organismes agréés.
Jusqu’en avril 2014, conformément au code de la sécurité sociale, la commission d’action sociale était commune à la MDA et l’AGESSA. Chaque conseil d’administration nommait 5 représentants (dont un diffuseur).

Celles et ceux qui relèvent principalement, voire exclusivement, du régime des AA doivent pouvoir bénéficier d’une protection sociale complète, quels que soient les aléas de leurs revenus. L’option de sur-cotisation associée à l’action sociale du régime permet de garantir cette fonction première du régime des AA.

3/ Évolution et désorganisation de l’action sociale du régime

Statistiques

Source : rapports annuels d’activité MDA et AGESSA (alias « sécurité sociale artistes-auteurs »).

  • Avant la désorganisation (en vert).
Le fonctionnement de l’action sociale a été normal jusque fin 2013.
La commission d’action sociale se réunissait tous les trimestres.
Le nombre d’AA éligibles était en moyenne de 10 000 AA.
Le nombre de bénéficiaires était en moyenne de 1 200 AA.
Le pourcentage de demandes acceptées était de 96 %.
Le montant annuel des dépenses d’aides sociales était en moyenne de 550 000 €.
Le montant moyen de l’aide était d’environ 500 €
.

À titre d’exemple complet lire notre article de janvier 2013.

La conclusion de notre article témoigne des préoccupations de l’époque :
« Dès 2009, les élus de la liste « Unis pour nos droits » au sein de Conseil d’administration de la MDASS, dont le CAAP fait partie, ont alerté les ministères de tutelle sur le prévisible déséquilibre financier du fonds d’action sociale. À la date du 7 décembre 2012 (article 3 du décret N° 72012-1370), le taux spécifié dans l’article R382-30-1 du code de la sécurité sociale est passé de 1,5 % à 2 %. Bien que positive, cette « mesurette » ne règle nullement le problème de fond du fonds.
Le CAAP estime notamment que la sous-information des artiste-auteurs n’est en aucun cas un mode de régulation acceptable du risque structurel avéré de sous-financement du fonds d’action sociale de la CAS.
En 2011, la dépense du fonds d’action sociale ne représente que 0,25 % du recouvrement total. Une révision du mode de financement du fonds d’action sociale est une nécessité urgente afin d’assurer sa pérennité : à l’avenir, les ressources doivent être proportionnées aux besoins et non artificiellement conditionnées par une fraction du montant de la contribution des diffuseurs ; à l’avenir, les artistes auteurs doivent être mieux informés de l’existence de ce dispositif par les deux organismes sociaux : la MDASS et l’AGESSA.
 ».

Ainsi il est à noter que le problème du sous-financement de l’action sociale était de plus en plus pressant. Le 16 avril 2014, les membres de la Commission d’Action Sociale s’étaient réunis en séance extraordinaire avec les représentants des ministères de tutelle. Un courrier des membres de la Commission à la ministre de la Santé en mai 2014 fait clairement le point sur la situation de sous-financement structurel de l’action sociale du régime. Voir PJ ci-dessous :
 

Courrier-CAS_a_Marisol-Touraine-Ministre-Aff-Soc-et-Sante_le_12-05-2014

 

  • De la désorganisation à l’effondrement (en orange) suite à l’absence de conseils d’administration et de la commission en bonne et due forme.

À partir du 2ème trimestre 2014, une carence des conseils d’administration MDA et AGESSA a été instaurée par les ministères de tutelle. Au lieu de prévoir, conformément au code de la sécurité sociale, l’organisation des élections pour renouveler les conseils d’administration élus en 2008 (donc en fin de mandature de six ans), les tutelles avaient demandé la prorogation des mandats des administrateurs, et ce, alors même que ces mandats étaient déjà expirés ! Le Conseil d’État avait refusé cette prorogation illicite et le régime social des AA s’est ainsi retrouvé sans conseil d’administration (en toute illégalité également) donc sans commission d’action sociale.

En 2014, une seule réunion de la Commission d’action sociale a pu se tenir en mars, il en résulte 574 bénéficiaires. L’incurie des ministères de tutelle et l’expiration des mandats des administrateurs de la MDA et l’AGESSA a fait obstacle à la tenue des trois autres séances prévues initialement en juin, septembre et décembre. Les demandes d’aides sociales postérieures à mars 2014 n’ont pas été traitées.

En 2015, un « administrateur provisoire » a été nommé par un arrêté des ministères de tutelle. L’administrateur « provisoire » était notamment chargé d’organiser les élections, ce qui n’a jamais été fait…

C’est ainsi que, sans fondement légal, depuis 7 ans, un « administrateur provisoire » est investi de l’ensemble des pouvoirs dévolus aux conseils d’administration des AA, y compris l’action sociale.

En 2015, l’administrateur « provisoire » s’est donc substitué à la commission d’action sociale sans organiser l’élection des conseils. Il a traité non seulement les demandes d’aides de 2015 mais également celles qui s’étaient accumulées au cours de l’année 2014, d’où le nombre record de 2138 bénéficiaires, qui porte en réalité sur presque 2 ans (21 mois).

En 2016, l’administrateur provisoire a été renommé pour un an. Aucune élection des Conseils n’a été organisée et bien que la fréquence trimestrielle de la commission d’action sociale ait été rétablie, seulement 617 AA ont pu bénéficier de l’aide sociale, soit deux fois moins que normalement. Le nombre de demandeurs et le nombre d’AA éligibles, données essentielles pour analyser l’évolution de l’aide sociale, ne sont pas mentionnés dans le rapport d’activité établi par la direction de la MDA-AGESSA… Il est cependant évident que le nombre d’AA éligibles était stable.

En 2017, en l’absence d’administrateur provisoire et de conseil d’administration, aucune Commission d’action sociale n’a pu avoir lieu, d’où l’absence totale de bénéficiaires en 2017. En effet, Monsieur Bernard Billon, directeur du FSV (Fonds de Solidarité Vieillesse) qui avait été nommé administrateur « provisoire » en 2015 puis en 2016, a refusé d’être à nouveau nommé en 2017.

En 2018, une nouvelle administratrice « provisoire » est nommée : Madame Anne-Marie Le Guével, inspectrice générale des affaires culturelles au ministère de la Culture. Simultanément, la réforme du régime issue de la loi du 30 décembre 2017 a supprimé dans le code de la sécurité sociale le mot « élu » pour les conseils d’administration. L’organisation des élections ne fait donc plus partie des missions de l’administratrice « provisoire » (toujours en poste en 2022…). Bien que la nouvelle administratrice provisoire ait eu à traiter non seulement les demandes de 2018 mais également celles de 2017, seulement 989 aides ont été attribuées en 2018. Le nombre de demandeurs et le nombre d’AA éligibles, données essentielles pour analyser l’évolution de l’aide sociale, ne sont pas mentionnés dans le rapport d’activité établi par la direction de la MDA-AGESSA…

En 2019, non seulement le nombre de bénéficiaires a encore chuté de façon vertigineuse (358 bénéficiaires) mais le montant moyen de l’aide allouée (252 €) est lui-même divisé par deux !

En 2020 et 2021, avec respectivement 27 puis 10 bénéficiaires, le passage de la collecte à l’Urssaf Limousin engendre visiblement l’effondrement total de l’action sociale du régime. Alors même que l’action sociale aurait dû, au contraire, être renforcée, la précarité des AA s’étant dangereusement exacerbée (crise sanitaire, inflation, …).

Rappelons que les mesures de réduction de cotisations sociales en raison de la crise sanitaire ont été établies sur un critère de revenu qui a écarté de toute aide les plus fragiles des AA, notamment celles et ceux en difficulté dont l’unique régime de sécurité sociale est celui des AA !

Pour mémoire, voir nos articles :

Rappelons également que la compensation de la hausse de la CSG sur la cotisation vieillesse depuis 2020 n’est pas neutre sur l’action sociale du régime. En effet, la CSG n’est pas prise en charge par la commission d’action sociale du régime contrairement à la cotisation vieillesse plafonnée. Ainsi les AA qui sur-cotisent subissent de plein fouet la hausse de la CSG, les montants d’aides ont mécaniquement été diminués.

Enfin rappelons que la baisse du montant forfaitaire de sur-cotisation de 900 à 600 SMIC horaire, décrétée sans consultation, à partir de 2022 est aussi une régression sociale à l’encontre des AA précaires qui n’ont pas d’autre régime de sécurité sociale. Là encore les montants d’aides sociales sont mécaniquement abaissés puisque proportionnels au montant forfaitaire de la sur-cotisation. De plus, les droits sociaux des AA qui sur-cotisent sont désormais inférieurs d’un tiers par rapport à la situation précédente.

Pour en savoir plus voir nos articles :

Chute du plafond de l’aide sociale depuis 2020 (alors qu’auparavant, il augmentait proportionnellement à l’assiette forfaitaire)
 

Plafond-Aide-Sociale

 

4/ De l’incurie à la malveillance, la mise à mal de l’action sociale du régime a largement pénalisé les professionnels les plus vulnérables.

Alors que le régime social aurait dû les protéger, les AA précaires ne disposant pas d’autre protection sociale sont au contraire les plus pénalisés et les plus maltraités depuis 7 ans ! Non seulement l’action sociale qui leur est dédiée a été désorganisée et occultée, mais encore les mesures prises (réductions de cotisations sociales Covid 19, compensation de la hausse de la CSG, baisse du montant forfaitaire de sur-cotisation) ont aggravé leur situation.

Pendant la mandature 2008-2014, lors d’une réunion avec la direction de la sécurité sociale, le CAAP avait alerté le sous-directeur de la sécurité sociale sur le faible taux de recours (12 % en moyenne) à la commission d’action sociale. Le sous-directeur avait répondu que ce taux était « normal » car similaire à celui de toutes les commissions d’action sociale…

Pendant la mandature 2008-2014, soucieux de défendre les intérêts des AA éligibles, les administrateurs élus du conseil d’administration de la MDA avaient voté l’obligation d’informer systématiquement et personnellement les AA éligibles à l’aide sociale (les sur-cotisants). À cette réunion, la direction de la MDA-AGESSA, toujours inchangée à ce jour, s’était exprimée contre cette information automatique. Les ministères de tutelle ne pouvant s’opposer qu’aux décisions illégales du conseil d’administration, cette décision aussi légale que pertinente a été mise en application… tant que des conseils d’administration pilotaient le régime et qu’ils contrôlaient l’application de leurs propres décisions.

Après 2014, l’absence (illégale) de conseil d’administration a laissé les mains libres à la direction de la MDA-AGESSA.

À ce jour, ni la MDA-AGESSA (alias « la sécurité sociale des AA »), ni l’Urssaf Limousin n’informe personnellement les AA éligibles de l’existence de la commission d’action sociale et de son rôle.

Il en résulte qu’aujourd’hui la plupart des AA qui sur-cotisent ignorent qu’ils pourraient obtenir une aide pour le paiement de leurs cotisations. Le non-recours est évidemment exacerbé par cette carence d’information, qui constitue in fine une grave inégalité de traitement entre le peu d’AA qui savent et ceux qui ne savent pas qu’ils sont éligibles à l’aide sociale.

Ne pas informer les AA de l’existence de cette aide est une bien cynique et scandaleuse façon de limiter les demandes. C’est ainsi qu’à textes constants, le nombre des demandeurs d’aide sociale a chuté de façon vertigineuse, tandis que les poches de pauvreté se sont inexorablement amplifiées.

Nous demandons que soit mise en place une campagne d’information de l’Urssaf Limousin et de « la sécurité sociale des AA » (ex-MDA-AGESSA) sur le rôle de la commission d’action sociale du régime social des AA. Nous demandons que les AA éligibles soient systématiquement informés de la possibilité d’obtenir une aide, et des modalités pour la demander, y compris pour les années passées.
Autrement dit, nous demandons que cessent la désorganisation et la dégradation de l’action sociale du régime. Nous demandons que soit pleinement restaurée l’action sociale du régime
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